La façade centriste et tolérante de Macron s’effrite

Par Karen Attiah*

* Éditorialiste du Washington Post, Karen Attiah a beaucoup fait parler d’elle fin novembre lorsqu’elle a relayé la prétendue Fake News selon laquelle le gouvernement français s’apprêtait à attribuer des numéros d’identification aux élèves musulmans. Pourtant, il est évident que c’est bien l’Islam et les musulmans qui sont traqués par cette mesure visant à lutter contre le pseudo-séparatisme, et comme pour le changement de nom de la loi contre le séparatisme islamiste, c’est uniquement pour ne pas être anticonstitutionnelle qu’elle est élargie à tous les élèves.

Source : Washington Post, 4 décembre 2020

Traduction : lecridespeuples.fr

Lorsque Emmanuel Macron a battu Marine Le Pen et son parti d’extrême droite en 2017, sa victoire a été présentée comme un rempart centriste exemplaire contre la montée des forces xénophobes, anti-immigrants et racistes en France et à travers l’Europe. Pour beaucoup, Macron était un fantasme politique incarné, un ancien banquier privé au visage frais, engagé à soutenir et à défendre l’ordre mondial néolibéral.

Macron a hérité d’une France luttant contre la menace de l’Islam radical et un mouvement illibéral d’extrême droite montant. Après les massacres contre le journal satirique Charlie Hebdo, #JeSuisCharlie est devenu un cri de ralliement mondial et la France est devenue une guerrière de la liberté de la presse.

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La récente décapitation choquante du Professeur Samuel Paty a ravivé les antagonismes entre l’État français et la population musulmane de France. L’attaque était un traumatisme national, pour une population non musulmane qui craint l’Islam. D’un autre côté, de nombreux musulmans sont victimes de discrimination et d’islamophobie. Mais après les dernières attaques, il n’y a pas eu d’expressions écrasantes de sympathie et de solidarité internationales comme les années passées. Nous n’avons pas changé nos profils Facebook en drapeau tricolore, ni posté « En Solidarité » sur nos réseaux sociaux.

Au lieu de cela, dans l’année du mouvement #BlackLivesMatter, la réponse de la France à ces horribles attaques fait l’objet d’un examen plus minutieux. Et Macron, héros libéral de jadis, a été critiqué pour son pas de deux politique avec l’extrême droite, sa soumission au ressentiment islamophobe et son flirt avec l’autoritarisme politique.

Sur Samuel Paty & Charlie Hebdo, lire Un long hiver républicain, par Alain Brossat

« Qu’est-ce qui, aujourd’hui, dans notre société, met en danger notre République, notre capacité à vivre ensemble ? » a demandé Macron lors d’un discours en octobre. C’était une question rhétorique. Dans un coup d’ironie profonde, le champion de la neutralité de l’État dans les affaires religieuses a accusé le séparatisme islamiste d’être la principale menace. Sur les pas de Marine Le Pen, le Président français a déclaré que « partout il y a une crise de l’Islam », avec des impulsions radicales et « le désir d’un djihad réinventé ».

Mais les récentes attaques ont été menées par des individus profondément perturbés, des loups solitaires n’ayant aucun lien avec les réseaux terroristes internationaux. Ce n’est pas ce à quoi le gouvernement Macron veut s’attaquer. Il mène ce qu’il appelle la guerre contre le « séparatisme islamiste » interne. Les chefs religieux islamiques en France subissent des pressions pour signer une charte des « valeurs républicaines ». Le gouvernement a proposé d’annuler un programme de scolarité avec des enseignants de Turquie, du Maroc et d’Algérie. Il veut également imposer des restrictions à l’enseignement à domicile.

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Macron veut forger un Islam des « Lumières » en France. Il dit vouloir « aider cette religion à se structurer dans notre pays ». Il est déjà assez grave qu’une idée aussi hypocrite va à l’encontre de la valeur française de la « laïcité », ou neutralité de l’État dans les affaires religieuses. Mais les promesses condescendantes du Président de réformer une religion entière rappellent l’engagement du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane en 2017 de « maîtriser »  les factions extrémistes du royaume et de les ramener à un « Islam modéré ». Étant donné que Macron ne voit rien de mal à conclure des accords de vente d’armes avec le même dictateur arabe qui bombarde le Yémen et commet des violations flagrantes des droits de l’homme contre les musulmans dans son propre pays, il est peut-être logique que Macron obtienne des conseils si bon marché sur la façon de rendre misérable la vie des musulmans innocents.

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Le jeu de rôle de Macron en tant que réformateur autoritaire bienveillant a atteint son zénith lorsqu’il a averti : fallait « S’il faut faire craindre la République en appliquant ses règles sans faiblesse et redonner force à la loi, s’il faut reconquérir sur des axes essentiels que j’ai évoqués, il faut aussi la faire aimer à nouveau en démontrant qu’elle peut permettre à chacun de construire sa vie. »

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La France, ancienne puissance coloniale qui a commis d’innombrables atrocités au nom de l’impérialisme dans le monde entier, refuse toujours de voir ou d’admettre que les Noirs, les Arabes et les musulmans ont encore de nombreuses raisons de craindre la République. Le port du niqab a été interdit aux femmes. Les Noirs et les Arabes de France sont beaucoup plus susceptibles d’être la cible de la discrimination et des violences policières même en temps normal. Les musulmans constitueraient entre 60 et 70% de la population carcérale française. Et même si les citoyens voulaient se protéger des abus, le gouvernement français a tenté de restreindre la capture d’images de la police le mois dernier [sans parler de la dissolution du CCIF, organisme de défense juridique des musulmans victimes de discrimination, de la guerre contre le halal et les écoles musulmanes, des attaques constantes contre le voile, etc.]. Après les réactions négatives des médias et des groupes de défense des droits de l’homme, le gouvernement affirme qu’il examine le projet de loi controversé.

Voir ‘Séparatisme médiatique’ : la croisade désespérée de Macron pour museler la presse occidentale et Amnesty International : La France n’est pas la championne de la liberté d’expression qu’elle affirme être

Au lieu de répondre avec clarté morale et dignité aux projecteurs internationaux sur les relations raciales, la discrimination et la violence d’État en France, Macron et le système médiatique français ont répondu avec une fragilité fébrile. Les médias français s’en prennent violemment aux commentateurs qui parlent de racisme et du passé camouflé de la France. Récemment, des femmes francophones noires et arabes dans les médias (j’ai également été violemment attaquée après avoir fait une déclaration imprécise que j’ai rapidement corrigée publiquement) ont été agressées numériquement par des membres français de la presse et d’autres personnalités. Certaines ont reçu des menaces de mort et ont été accusées de constituer une menace pour les Français du monde entier en soulignant le traitement réservé par la France aux musulmans. C’est comme si la France, grande dame coloniale vieillissante, ne pouvait pas croire que ses anciens sujets africains et musulmans osaient lui répondre. Mais à l’ère des médias internationaux et de la prise de conscience croissante de la suprématie blanche et de l’héritage colonial, la France ne peut pas simplement s’attendre à contrôler la conversation mondiale sur son passé et son présent.

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En Occident, les minorités raciales et religieuses sont toujours les canaris de la mine de charbon. Le monde devrait prêter attention aux voix noires, africaines, arabes, musulmanes et immigrées de la France qui préviennent que sous Macron, la France, le pays des Lumières, prend une tournure très sombre.

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