L’ingérence occidentale en Syrie, les affres des adolescent(e)s transgenres et les accusations contre Joe Biden, des sujets trop sensibles ?

Pour les suites de cette « affaire », qui m’a valu un bannissement d’1 mois et 5 jours, voir Le mépris de Mediapart

Mon blog Mediapart « Le Cri des Peuples », extension du site lecridespeuples.fr dont il republie régulièrement des articles pour leur donner plus de visibilité et les préserver davantage face à la censure, est actif depuis décembre 2016. A ce jour, il a publié 711 billets et compte 86 abonnés Mediapart. Son audience –qui s’étend vraisemblablement au-delà des usagers payants de Mediapart, les articles du Blog étant accessibles à tous, même si la section commentaires ne l’est pas– est impossible à mesurer, Mediapart ne proposant étrangement pas cette fonction cruciale à ses contributeurs.

Depuis 2016, Mediapart a « dépublié » (néologisme pudibond signifiant tout bonnement « supprimer ») trois de mes articles – soit 0.42 % d’entre eux.

Le premier, un article de Stephen Gowans, a été supprimé le 20 mars 2019. Il concernait la « révolution syrienne », qu’il dénonçait, preuves à l’appui (pas moins de 66 notes de bas de page, majoritairement issues des sources occidentales les plus prestigieuses : Time, New York Times, The Independent, Wall Street Journal, etc.), non pas comme un mouvement de révolte populaire spontané (longtemps encensé par Mediapart) mais comme un complot ourdi par les anciennes puissances coloniales et leurs alliés du Golfe, et s’appuyant sur les Frères musulmans et une myriade de groupes terroristes. L’auteur soutient que des revendications légitimes de réformes ont été instrumentalisées et détournées de leurs objectifs, les manifestations ayant dès le début dégénéré en violences et en insurrection armée ; des hordes de » djihadistes » venus du monde entier, fanatisés par l’idéologie wahhabite et armés par l’Occident, ont entrepris de renverser le régime alors même qu’il avait consenti à la majorité des revendications populaires. Cet article a été disqualifié comme une « Fake News », alors que notre ancien ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas (qui a également fait des révélations intéressantes sur Edwy Plenel), a attesté de la véracité de cette théorie, et que même François Hollande a reconnu avoir livré des armes aux « rebelles » en Syrie. Cet article datait d’octobre 2016, et avait été traduit par Le Saker francophone en janvier 2017. Je l’avais moi-même republié en mars 2017.

Pour diverses raisons, je n’ai pas jugé opportun de réagir.

Le second article dépublié concernait la question transgenre, et a été supprimé le 21 décembre 2020, le lendemain de sa publication. Rédigé par une enseignante transgenre, Debbie Hayton, il parle des dégâts irréversibles que peuvent entrainer les bloqueurs de puberté chez des jeunes adolescentes sujettes à une dysphorie de genre, qui s’engagent dans ce processus en milieu scolaire, souvent à l’insu de leur parents, et le regrettent ensuite sans pouvoir faire machine arrière, leur corps ayant été irrémédiablement mutilé du fait de traitements aux hormones, voire d’interventions chirurgicales. Accessoirement, il était complété d’une déclaration de Vladimir Poutine qui expliquait que « l’interdiction de la propagande homosexuelle auprès des mineurs » n’avait rien d’un acte homophobe, mais visait à les protéger de toute pression préjudiciable à leur stabilité et à leur développement personnel spontané. L’article a été disqualifié comme contenant des « propos injurieux, diffamatoires, discriminants envers une personne ou un groupe de personnes ».

Le message que j’ai adressé à Mediapart n’a reçu aucune réponse. Je n’ai évidemment pas pris le risque de republier l’article, soucieux de ne pas donner de raison, voire de prétexte, à mon bannissement. J’ai hésité à dénoncer cette censure, mais encore une fois, j’ai fait le choix d’avaler la couleuvre.

Le troisième article qui vient d’être dépublié était la traduction d’un bref article de Russia Today évoquant les accusations de comportement inconvenant souvent portées contre Joe Biden, et la censure par Twitter d’une compilation d’images officielles du candidat Démocrate –maintenant élu– interagissant avec de très jeunes filles. Il a été publié il y a plusieurs mois, mais a été supprimé le 11 janvier 2021 au prétexte de « propos injurieux, diffamatoires, portant atteinte à la vie privée, au droit à l’image, ou à la réputation et aux droits d’autrui », dans un contexte bien particulier, celui des émeutes au Capitole et de la purge sans précédent des réseaux sociaux.

Cette fois, il me semble nécessaire de marquer le coup.

S’agit-il d’une politique éditoriale de Mediapart, qui rejoindrait progressivement la censure de toute voix dissidente ? S’agit-il d’une stratégie de défense pusillanime qui chercherait à se prémunir de tout procès –qu’il s’agisse d’une invraisemblable procédure judiciaire ou, à peine moins improbable, d’un lynchage en ligne par les meutes de « social justice warriors » et autres délateurs bénévoles ou stipendiés– en exerçant une auto-censure préventive sur les contenus suspects ? D’un excès de zèle des modérateurs ? D’une trop grande sensibilité aux signalements aléatoires ou malveillants de certains usagers du site ?

Quoi qu’il en soit, ces suppressions me paraissent injustifiables, car elles censurent des analyses mesurées, documentées et solides, et ne constituant nullement des élucubrations, propos discriminatoires ou injures susceptibles de poursuites judiciaires ayant la moindre chance de l’emporter. L’article le moins « universitaire », celui concernant Joe Biden, ne comportait pas même l’accusation de « pédophile », le mot n’apparaissant que sous la légende d’un Tweet qui soulignait l’ironie de la suppression d’images officielles de Joe Biden par Twitter au prétexte de la protection de l’enfance.

Certes, en tant qu’hébergeur, Mediapart peut être tenu co-responsable d’éventuels propos contrevenant à la loi. Ayant fait le choix louable d’une absence de modération a priori, Mediapart se dédouane, à raison, de chaque article du Club par la mention « Le Club est l’espace de libre expression des abonnés de Mediapart. Ses contenus n’engagent pas la rédaction », apposée automatiquement sous chaque article de blog. De plus, il est précisé dans la Charte de Mediapart, à la section « Responsabilité », que « Les contributions publiées par les abonnés de Mediapart relèvent exclusivement de leur responsabilité et ne subissent aucun contrôle a priori. Toutefois, conformément à la loi, dès lors qu’il sera informé de la publication d’un contenu susceptible d’engager sa responsabilité pénale, et après avoir informé le contributeur responsable de cette publication, Mediapart pourra procéder à sa suppression (1). » Précisons que je n’ai jamais été informé qu’a posteriori, que la responsabilité pénale de Mediapart a peu de chances d’être engagée par un article sur la Syrie ou sur Biden (et au-delà de l’improbabilité d’une plainte du Président des Etats-Unis pour un article dénonçant les contradictions de Twitter, il y a fort à parier que si cet article concernait Trump, il n’aurait pas été supprimé) et que jusqu’à présent, l’auteur d’un article est la seule cible des attaques judiciaires (cf. l’affaire Darmanin vs le blog Mediapart « Hors les Murs »).

Cependant, le caractère drastique de cette censure, qui supprime tout bonnement des articles entiers, sans aucune réponse ni explication, est pour le moins contestable. Les géants comme Youtube, Facebook et Vimeo, qui ont tous banni Le Cri des Peuples à un moment ou à un autre (car Hassan Nasrallah, Secrétaire Général du Hezbollah dont je traduis régulièrement les interventions, y est persona non grata), supprimant la totalité de ses contenus (et pas seulement ceux qui étaient jugés litigieux), proposaient pour le moins des procédures d’appel, même s’il s’agissait souvent d’une parodie de justice. Mais lorsqu’on sollicite le Club de  Mediapart, il fait la sourde oreille. Même sans avoir les moyens des géants du Net, un minimum de dialogue semble la moindre des choses, d’autant plus que les usagers de Mediapart paient une cotisation mensuelle.

Voir Après Youtube & Facebook, Vimeo bannit les vidéos de Nasrallah et ‘Le Cri des Peuples’

Il me semble que ces coulisses méritent d’être connues du public (et en premier lieu des lecteurs de Mediapart), chacun pouvant ensuite se faire son propre avis sur la légitimité de ces procédures et la pertinence de ces décisions, qui, à mon sens, se doivent d’être clairement justifiées, transparentes, et respecter le principe de la contradiction.

Je demande donc formellement à Mediapart de republier mes articles ou de m’expliquer clairement les raisons de leur suppression. Et en attendant, sans grande conviction, une quelconque réponse, je dénonce cette censure publiquement, en espérant que cela ne sera pas considéré comme une énième violation qui justifierait l’emprisonnement (suspension temporaire) ou le couperet de la guillotine (exclusion définitive). D’autres articles –dont celui-ci– seront-ils « dépubliés » ? Serai-je banni du Club Mediapart ? Les 5 ans d’archives de mon blog seront-elles détruites ? J’espère bien que non, même si le ton toujours plus menaçant des messages, l’absence manifeste de prescription (il est facile de trouver des contenus controversés dans +700 articles d’un blog non-aligné sur le récit mainstream) et l’expérience le font clairement redouter. Mais le cas échéant, le site lecridespeuples.fr restera accessible – jusqu’à la prochaine purge ; l’abonnement par e-mail, meilleur moyen de garder contact en cas de suppression d’un site, est vivement recommandé.

La crédibilité de Mediapart, encensé récemment comme le « dernier média défenseur des blogs », et son positionnement dans la bataille décisive pour la liberté d’expression en ligne (déjà mis à mal, entre autres dossiers, par la reprise des éléments de langage de la cabale contre Assange, à comparer au traitement princier réservé à l’insignifiant Navalny), sont engagés.

Voir Toute la vérité sur Julian Assange : ‘Un système assassin est en train d’être créé sous nos yeux’, par Nils MELZER, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture

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Le Cri des Peuples

(1) [Note de la Charte de Mediapart] Selon le dernier alinéa de l’article 93-3 de la Loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, la responsabilité du Directeur de la Publication ne peut être engagée comme auteur principal s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message. Mediapart rappelle qu’il ne procède à aucun contrôle a priori des contributions publiées sous la responsabilité des contributeurs. A l’exclusion du régime prévu par l’article 93-3 de la loi du 29 juin 1982 ci-dessus évoqué, la responsabilité de Mediapart est soumise au régime juridique d’un hébergeur au sens de l’article 6, I-2 de la loi n° 2004-575 pour la confiance dans l’économique numérique. Mediapart peut, en conséquence, être amené à retirer tout message publié par un abonné dont il a connaissance conformément aux conditions mentionnées à l’article 6 I-5 de la loi n° 2004-575 pour la confiance dans l’économie numérique, et susceptible d’engager sa responsabilité.

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