La Mission laïque française menace Google et un ancien employé revendicatif de saisir la « juridiction répressive » (sic)

[Mise à jour : la MLF m’a attaqué en diffamation en Référé, procédure d’urgence, demandant une censure TOTALE des articles incriminés, longs de plusieurs dizaines de pages, et 12 500 euros d’amende. J’ai dû à nouveau constituer avocat et présenter mon dossier dans des délais drastiques, un marathon aussi épuisant que ruineux qui relève une nouvelle fois de l’intimidation et de la censure. Cf. ci-dessous le commentaire de la MLF et ma réponse.

Une décision du Tribunal des Référés du 8 décembre 2015 m’a condamné à une censure de quelques mots seulement et 2 500 euros d’amende au total pour diffamation – sans parler des frais engagés pour ma défense qui s’élèvent à un peu plus. La Mission laïque a poursuivi ses manœuvres de harcèlement judiciaire pour obtenir la suppression complète de mes articles, me proposant même en contrepartie d’annuler mon amende, mais elle a été déboutée le 15 décembre 2016.]

Par Sayed Hasan

En annexe, sont jointes les mises en demeure de la MLF adressées à Google et à moi-même.

Le 9 septembre 2015, j’ai publié la première partie d’un article intitulé « Les marchands de soupe de la Mafia laïque française », où je fais le récit détaillé d’une affaire qui m’oppose à la Mission laïque française (MLF) via un de ses établissements depuis 2013 (la MISR Language Schools, au Caire), et pour laquelle j’ai saisi les Prud’hommes. J’y dénonce notamment les procédés mafieux d’une institution sans scrupules et plus avide de lucre que de dispense d’une instruction et d’une éducation dignes de ce nom.

Soucieuse de maintenir sa réputation éthérée et mensongère, la Mission laïque française intimide aujourd’hui les hébergeurs Internet et me menace moi-même de mesures de rétorsion pour censurer toute publication de l’affaire. Une excellente raison pour rappeler les faits et surenchérir en creusant plus avant dans l’histoire, le rôle et les valeurs authentiques de la Mission laïque française, en attendant la suite du récit et des événements.


Mission laïque française : slogans et réalité

Synthèse de l’affaire Sayed Hasan / Mission laïque française

J’ai été recruté à Paris en novembre 2012 par Frédéric TUMPICH, Proviseur de la MISR Language Schools – agissant au nom de la Mission laïque – pour exercer en tant que Professeur de Français dans cet établissement du réseau MLF situé en Egypte. Dès ma prise de fonctions, j’ai été confronté à des conditions de chaos inconcevables. Les enseignants étaient traités comme du rebut par l’administration, méprisés, lésés, menacés, et même agressés par des élèves impunis, pour complaire à des parents fortunés qui paient des droits d’inscription faramineux, et sont donc choyés, ainsi que leur progéniture, par la plus vile démagogie. « Clientélisme et enfants-rois » étaient les maitres-mots, un kit de survie tenant lieu et place d’un quelconque projet pédagogique. J’ai eu le plus grand mal à prendre la main sur mes classes, et seules ma détermination, ma jeunesse et ma connaissance de la langue et de la culture arabe m’ont permis de ne pas rejoindre à toutes jambes le cortège des enseignants démissionnaires – pour ne pas dire déserteurs.

Je me suis ensuite confronté à l’administration en protestant contre des ponctions indues et de fausses déclarations sur mes salaires, en venant en aide à un collègue menacé d’agression par ses lycéens – il fut effectivement agressé quelques jours après qu’on m’ait formellement interdit de l’assister et exerça son droit de retrait durant une semaine – et en prenant directement l’attache des parents d’élèves pour me protéger face à l’hostilité de la direction. Celle-ci a considéré ces actions comme une ingérence inacceptable et un dangereux précédent qui rompait avec l’attitude docile des personnels, et elle a décidé de me neutraliser et de faire un exemple pour rappeler l’ensemble de la communauté éducative à de meilleurs sentiments. Fin mars 2013, j’ai donc été violenté par des vigiles sous les yeux de mes élèves, exclu manu militari sans notification écrite faute de motif valable, diffamé auprès des enfants et parents, et même menacé de rapatriement forcé par un représentant de l’Ambassade de France (Paul PETIT, Attaché Culturel) si je menais une quelconque action visant à faire valoir mes droits, au prétexte qu’elle pourrait « nuire à l’image de la France ».

La MLF est en effet « Partenaire des ministères français de l’Éducation nationale [qui délivre des diplômes français] et des Affaires étrangères », et a prétendument pour objectif « de diffuser à travers le monde la langue et la culture françaises par un enseignement de qualité, respectueux de la liberté de conscience et de la diversité culturelle. À ce titre, elle participe de la politique éducative et culturelle développée par les postes diplomatiques dans le monde.[1] » Et la section française de la MISR Language Schools est l’un des établissements les plus réputés d’Egypte, vitrine de l’excellence « à la française… » Mais derrière l’omerta, la réalité est tout autre : l’instruction et l’éducation prodiguées sont désastreuses et corruptrices tant pour les personnels que pour les élèves. Un bulletin syndical SGEN-CFDT de 2008 évoquait déjà des conditions d’exercice inacceptables dans cet établissement, dénonçant une atmosphère de non-droit, le manque chronique de personnels titulaires, et des modalités d’homologation douteuses : de fait, les enseignants compétents et consciencieux sont brimés, sacqués et « viennent et s’en vont », tandis que les personnels moins qualifiés sont « à la merci de la direction égyptienne[2] ». En plus de maints documents et rapports internes édifiants, j’apportais notamment des échantillons de notations qui révolutionnent littéralement l’arithmétique[3], le tout visant à donner une fausse apparence de réussite. La MLF, une véritable « imposture » en somme, pour reprendre le mot d’une collègue dans son rapport rédigé à la fin de l’année scolaire 2012-2013[4].

Ayant refusé de céder aux pressions, menaces et tentatives de subornation visant à m’imposer le silence, j’ai dû faire face à une plainte judiciaire calomnieuse auprès de la justice égyptienne : accusations d’agressions verbales et physiques contre élèves et personnels, de diffamation, etc., une mesure visant à me neutraliser et à justifier rétroactivement mon exclusion. J’ai subi une arrestation musclée qui m’a laissé des contusions durant plusieurs jours, un placement dans une cellule d’un mètre carré, et j’ai été déféré au Parquet. Mais cette plainte grotesque a été déboutée en un temps record, tant l’injustice dont j’étais victime était manifeste et soutenue par maints documents et témoignages de parents, d’élèves, et, dans une moindre mesure – les menaces de l’administration étaient très efficaces –, de personnels.

Après bien des péripéties que je rapporterai dans les 2e et 3e parties du récit, j’ai dû quitter l’Egypte en septembre 2013 faute de moyens de subsistance. Du fait de l’ostracisme des services de l’Ambassade de France qui m’empêchait de retrouver un travail en Egypte (Paul PETIT a mis ses menaces à exécution), j’avais été réduit, des mois durant, à un état de dénuement total, en plein coup d’Etat, et tout cela aurait pu me coûter la tête, tant au sens propre qu’au sens figuré. Un enseignant Français, Eric Lang, est mort dans un commissariat du Caire à ce moment-là dans des conditions suspectes (avec un mutisme tout aussi suspect des autorités diplomatiques françaises), et avant que son identité ne soit révélée, des proches informés de l’affaire ont cru que c’était moi. Cela aurait tout à fait pu être le cas.

Tout au long de l’affaire, la MLF, notamment via son Directeur Général Jean-Christophe DEBERRE et son Président Yves AUBIN DE LA MESSUZIERE, a pleinement cautionné les agissements de son représentant, Frédéric TUMPICH, ignorant mes sollicitations et « accréditant une version des faits qu’[elle] sa[va]it entièrement fausse » auprès d’élus des Français de l’Etranger intervenus en ma faveur – Alain MARSAUD, Député, et Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, Sénatrice. Mon avocat d’alors avait établi « qu’il existe autour de cet établissement une véritable culture de l’impunité et que l’agression, comme l’attitude de l’administration, repose sur la conviction que [j’allais] être broyé par la machine, préférant vite quitter l’Egypte en demandant [mon] compte. […] Cet établissement joue sur [cette] impunité en pensant que s’il existe un litige avec un salarié, il sera traité par la juridiction égyptienne, et avec une efficience toute relative et un impact très réduit en France ». Il préconisa la conduite d’une action « pour fragiliser tout ce système qui, ignorant la loi, fonctionne finalement comme un système mafieux, au sens opaque et privilégiant des intérêts particuliers ».

Frédéric Tumpich, Jean-Christophe Deberre et Yves Aubin de la Messuzière, personnages publics

 Déterminé à mener une telle action, j’ai saisi la justice prud’homale contre la Mission laïque française, mon employeur, et la procédure est en cours. Bien que la MLF nie son statut d’employeur, elle se définit ainsi tant dans ses Contrats de travail que dans sa Charte des personnels où il est spécifié explicitement que les personnels doivent rendre compte de leurs actions « à la Mission laïque française, qui est leur employeur », ce qui donne une garantie de sécurité aux enseignants recrutés en France, et envoyés au casse-pipe dans des pays où les droits les plus élémentaires peuvent être bafoués impunément. Mais lorsqu’ils s’avisent de se défendre, ils sont accablés par les instances qui sont censées les protéger.

Ces faits sont effectivement très préjudiciables à la France, à son image et aux ressortissants français à l’étranger. Ceux-ci devraient être protégés de tels agissements, surtout lorsqu’ils sont recrutés en France pour travailler dans une institution française, sous la tutelle de deux ministères, et sont ensuite complètement abandonnés. Bien plus, les enfants qui sont placés dans ces établissements par leurs parents, confiants dans la réputation d’excellence de la France, sont à mon sens les principales victimes de cette situation. Leur potentiel est dilapidé par les conditions extrêmes qui règnent dans ces établissements de la Mission laïque française. Cette situation ne permet nullement la transmission d’une instruction et d’une éducation décentes à des enfants qui sont, de par leur statut social, l’avenir de leurs Nations, qui est par conséquent compromis.

Afin de dénoncer cette « imposture MLF » et de contribuer à informer les parents et à protéger les élèves et personnels de ces établissements, j’ai entrepris de publier cette affaire sur Internet, en plusieurs langues (Français, Anglais, Arabe). J’ai également republié sur mon blog une pétition des parents d’élèves du Grand Lycée Franco-Libanais, un établissement de la MLF au Liban, qui dénonçait des procédés similaires (cf. Malversations et néo-colonialisme : la Mission laïque française au Liban). Ces articles ont circulé sur plusieurs sites internet (Tlaxcala, Agoravox, Alterinfo, Néoprofs, etc.), et mes actions se poursuivent.

Réaction de la Mission laïque française

Le 5 octobre 2015, la MLF a adressé à Google France par courrier recommandé avec AR (« par précaution » – sic) une mise en demeure (cf. Annexe) lui intimant de retirer mon article « Les marchands de soupe de la Mafia laïque française[5] » de sa plate-forme Blogger au prétexte qu’il porte « des accusations extrêmement graves à l’encontre de [la MLF] » et serait « diffamatoire en ce qu’il la compare publiquement à ‘la mafia[6]’ ». « Sa seule finalité », selon les dires de la MLF, « est de tenter d’interférer dans un litige actuellement pendant devant le Conseil de prud’hommes de Paris, saisi par l’auteur de cet ‘article’ [sic] qui se prétend, à tort, salarié de la MLF. » Il s’agirait d’un contenu « manifestement illicite et préjudiciable aux intérêts de [la MLF] au sens de l’article 6-I de la loi 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance sur l’économie numérique. » Si Google n’obtempérait pas à cette injonction « sans délai », la MLF se verrait contrainte « d’entreprendre [à l’encontre de Google] toute procédure judiciaire à cette même fin. »

Bien entendu, Google n’a nullement accédé à cette requête infondée et abusive, qui ne constitue qu’une tentative d’intimidation prétendant se substituer à un verdict de Cour de justice, seule instance pouvant ordonner le retrait d’un tel article. Résolue à imposer cette censure malgré la fin de non-recevoir de Google – et, probablement, des autres hébergeurs –, la MLF m’a donc adressé cet ultimatum laconique et jargonnant le 14 octobre 2015, toujours par lettre recommandée AR (« par précaution » – re-sic) :

« Monsieur,

Vous trouverez, ci-après, une copie de la mise en demeure adressée à Google et relatif [sic] à votre blog diffamatoire à l’encontre de notre cliente.

Je vous précise que votre avocat a été rendu destinataire de la lettre susvisée.

Si l’article incriminé devait être maintenu en ligne, la MLF nous a demandé de saisir la juridiction répressive [sic].

Je vous prie de croire, Monsieur, à l’assurance de ma considération distinguée. »

Ainsi donc, après tous les événements qui ont eu lieu en Egypte et en France depuis mars 2013, et au cours desquels les menaces, violences, calomnies, plainte judiciaire et ostracisme visant à me faire renoncer à faire valoir mes droits ont lamentablement échoué, la MLF croit encore pouvoir m’intimider dans ce qui reste, a priori, un Etat de droit, alors que même la justice égyptienne a débouté les accusations de diffamation qui ont été portées contre moi. Là où les coups et blessures et autres agressions acharnées contre mon intégrité physique et morale ont été vains, la « juridiction répressive » française – que j’ai moi-même saisie – aurait des chances de réussir ? Il est vrai qu’en France, il n’est pas aussi aisé de faire rosser les employés récalcitrants et autres « gêneurs » ou de les faire licencier sans raison, ce qui doit être regrettable du point de vue de la MLF, qui n’a pas d’autre recours que la voie légale. Mais au vu des faits, il est difficile de voir là autre chose que l’arrogance, la condescendance du dominant face au dominé présumé (institution vs. particulier, etc.), qui croit qu’indépendamment des faits, une simple menace de recours – clairement illégitime voire illégale[7] – à l’autorité judiciaire amènera l’indigène illettré à se soumettre servilement, louant le Ciel de s’en tirer à si bon compte.

Le fait que la Mission laïque française croie pouvoir donner de telles directives comminatoires et infondées à Google – ou, en l’occurrence, à moi-même – n’est qu’un coup d’esbroufe assez pitoyable, effet de cette arrogance, de cette suffisance coloniales qui la caractérisent depuis sa naissance en 1902, en tant que bras armé « culturel » de l’impérialisme et du colonialisme français qui imposait alors son joug un peu partout dans le monde, et dont tant la gestion de mon affaire que ses agissements récents au Liban sont des stigmates révélateurs. Un bref coup d’œil à l’histoire de la MLF – qu’il sera toujours temps de compléter par la suite – suffit à donner un aperçu éloquent de ses valeurs.

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Mission laïque française : réalité et marketing

Mission laïque et colonialisme français

Pierre Deschamps, fondateur de la Mission laïque française, a été exalté à l’occasion du centenaire de la MLF comme « un esprit éclairé, pénétré d’un grand idéal humaniste[8] » dans l’ouvrage La Mission laïque française à travers son histoire, 1902-2002, paru aux éditions Mission laïque française. Après la « pacification » de Madagascar, Pierre Deschamps fut chargé par le général Gallieni d’y organiser un système éducatif servant pleinement « l’œuvre colonisatrice de la France[9] ». Et, toujours selon la brochure apologétique de la MLF, empli de ce rôle de « missionnaire », Pierre Deschamps releva le « défi… de vivre et de travailler dans un milieu entièrement nouveau, de voyager seul, en filanzane (sorte de chaise à porteurs, capable d’avancer partout), sur de longues distances au seul contact des indigènes[10]. » Il mit ensuite cette expérience à profit pour fonder la MLF et propager la « mission civilisatrice » de la France auprès de toutes les « races inférieures », pour reprendre les mots de Jules Ferry[11].


En filanzane de Madagascar au Congo : « L’Homme Blanc ne rechigne pas à porter son fardeau, selon l’expression de Kipling ; il travaille avec zèle à l’élévation des peuples de couleur. » (Pierre Deschamps[12])

Tout au long de cette hagiographie, on verserait des larmes d’émotion face au « désintéressement » et à l’ « apostolat » encensés des pionniers laïques, présentés comme des bienfaiteurs à la Savorgnan de Brazza et non des agents de l’impérialisme conquérant, avec tout ce que cela implique en fait de condescendance, de violence et d’avidité. A plus d’un égard, cet ouvrage auto-congratulateur de la MLF constitue un hymne enthousiaste au colonialisme français. On se persuaderait presque qu’il ne consista pas tant en massacres, pillages et rapines des ressources du Tiers Monde au profit d’intérêts particuliers qu’en une œuvre bienfaitrice et civilisatrice plaçant les intérêts des populations indigènes avant ceux de la métropole et respectant pleinement leurs us et coutumes.

L’ « idéal désintéressé » des missionnaires laïques

Dès les origines, la MLF ne fut bien évidemment qu’un outil de contrôle et de domination visant à « formater » les élites indigènes, à les transformer en relais occidentalisés et dociles au service des intérêts coloniaux. L’idéal de « grandeur civilisatrice » n’était qu’un prétexte destiné à « vendre » la colonisation à une opinion publique française dont le sang et les impôts devaient préalablement être versés pour la conquête et la mise en valeur des nouveaux territoires, sans la moindre contrepartie[13], les dividendes étant ensuite accaparés par une étroite minorité de grands affairistes de l’industrie et de la banque. Jules Ferry lui-même recourut, pour convaincre l’auditoire qu’il servait véritablement, à savoir les intérêts économiques, essentiellement à un vocable sonnant et trébuchant[14], et c’est sur le terrain de l’humanisme authentique que Jules Vallès ou Jean Jaurès le combattirent[15]. Les futurs cadres de la Mission laïque française, qui participèrent pleinement à ce projet colonial, n’étaient certainement pas dupes : la « pacification » de Madagascar (et du Tonkin), acte de naissance de la MLF, fut notamment prônée par Eugène Etienne, figure majeure du colonialisme français, homme des intérêts industriels, qui deviendra, de manière prévisible, Président de la MLF de 1903 à 1905, instance où il a pu mettre à l’œuvre son « humanisme désintéressé[16] ». On retrouve cet esprit tout au long de son histoire, avant, pendant et après la décolonisation, au point qu’on peut se demander pourquoi les peuples n’ont pas bouté ces écoles d’Etat françaises hors du territoire après leur indépendance, la MLF constituant un instrument du néo-colonialisme jusqu’à ce jour[17].

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Elèves de CM1 et CM2 d’Alexandrie faisant allégeance à la MLF en formant son sigle, prosternés de manière humiliante devant le « Maître Blanc » (1931). Leçon bien apprise !

Une telle expulsion a eu lieu en Egypte et en Syrie en 1956 : après l’agression franco-britannico-israélienne à Suez et suite à la rupture des relations diplomatiques, les écoles françaises ont été « nationalisées » par l’Etat, et ses personnels français exclus. L’Assemblée Générale de la MLF de 1957 évoqua largement ces faits. Son Président, Emile Bollaert, a déploré « le coup vraiment trop injuste que nous portent les événements », affirmant que la civilisation et l’intérêt même des populations locales exigeaient la réouverture des établissements de la MLF[18]. Il rappela que « La France, depuis deux cents ans, ne s’est jamais cantonnée dans la seule perspective de ses intérêts commerciaux ou économiques : elle a, je crois, suffisamment montré au monde l’idéal désintéressé qui l’anime pour qu’on respecte au moins sa vocation enseignante… Nous n’avons jamais séparé le Service de la France du Service de l’Humanité, de la Pensée libre et de la Paix[19] ». Des propos d’une remarquable impudence au moment des guerres coloniales françaises de Suez, d’Indochine et d’Algérie.

De l’Algérie au Cameroun, le « Service de l’Humanité, de la Pensée libre et de la Paix »

Cependant, la MLF ne s’inquiétait pas outre mesure de ce refroidissement des relations de ces pays avec la France, persuadée que les affaires reprendraient bientôt. Pas tellement car « les relations d’un caractère culturel sont les plus difficiles à détruire et les plus faciles à renouer entre gens qui se comprennent et qui s’estiment[20] », simple boniment commercial défendant l’image de marque de la MLF. Ni parce que « l’Egypte sait bien qu’elle ne peut songer à éliminer la culture française, le meilleur véhicule entre ces pays méditerranéens[21] », pure morgue coloniale niant l’histoire et l’identité de ces pays. Mais par la certitude que la France ne permettrait pas de voir son influence s’estomper auprès de ces pays, ni n’abandonnerait des « placements [si] rentables[22] », substituant le néo-colonialisme au colonialisme. Quant au fort sentiment anti-français des populations arabes, nulle inquiétude à avoir de ce côté pour les cadres de la MLF qui déclaraient : « [il] ne faut pas oublier que les questions politiques sont des questions qui, sur le moment, impressionnent beaucoup les foules, mais il ne faut pas perdre de vue que les pays d’Orient sont des pays où le phénomène du mirage existe toujours et que là-bas ce qui provoquait la passion d’une foule est bien vite oublié. » Telle fut la conclusion de ces discussions, qui exprimaient pleinement la condescendance de la MLF pour les peuples arabes, celle-ci se persuadant que « nos professeurs pourront reprendre leur magnifique apostolat, qu’ils mènent depuis tant d’années dans ce merveilleux pays » (l’Egypte). Et force est de constater que les événements lui ont donné raison, que les établissements MLF ont repris du service et se sont même propagés, et que la présence impérialiste française en Afrique et au Proche-Orient reste forte.

Colonialisme culturel : la MLF face au « mirage » de la civilisation arabo-musulmane

Mais il n’est pas dit que les peuples du Tiers Monde seront toujours dirigés par des marionnettes au service de l’Occident, qui permettront indéfiniment à la Mission laïque française et à ses agents de bafouer et de piétiner leur souveraineté et leurs intérêts (en ignorant la loi locale comme au Liban, ou en menaçant de kidnapper des ressortissants français sur leur territoire comme en Egypte) et de dilapider les capacités de leur jeunesse (en leur dispensant une instruction et une éducation de pacotille et corruptrices vendues à prix d’or). Déjà, en 2012, le Qatar a expulsé la MLF pour des malversations financières – rapportées dans la presse française comme une censure médiévale[23] –, et on peut espérer que ce n’est qu’un début.

De même, il n’est pas dit que la « juridiction répressive » française permette indéfiniment à la Mission laïque française, qui brasse annuellement des dizaines de millions d’euros en eaux troubles, de salir l’image de la France et de piétiner ainsi la législation du travail et les droits de ses ressortissants en France et à l’étranger. La vérité finira par être connue, et justice sera faite.

Réponse à la MLF

Pour conclure, la MLF n’ayant jamais répondu à mes sollicitations par courriel et par courrier recommandé, il est hors de question pour moi d’échanger avec eux. L’article incriminé est étayé par des preuves matérielles multiples et concordantes, citées à foison et ne représentant qu’un échantillon des documents existants et en ma possession, tout comme cet article qui peut être ajouté au dossier. Il y a un intérêt public manifeste à dénoncer les faits en question. Je ne redoute donc nullement un procès en diffamation de leur part. Si, après avoir été déboutés en Egypte, ces Messieurs veulent se faire débouter en France et ainsi donner un plus grand retentissement encore à l’affaire, grand bien leur en fasse. Puisque j’étudie actuellement L’Affaire Dreyfus et J’accuse avec mes élèves, je me contenterai de reprendre les mots d’Emile Zola à leur intention :

« En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose. (…)

Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour !

J’attends. »

A bon entendeur.

Sayed Hasan

Annexe : Mises en demeure de la MLF

1

2

3

Notes

[1] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/enjeux-internationaux/cooperation-educative-enseignement/politique-scolaire/article/le-reseau-de-la-mission-laique

[2] Cet article dénonçait notamment « un turn-over excessif des personnels titulaires détachés dans cet établissement. (…) Un vrai roman… Les personnels ont travaillé des mois après la rentrée scolaire sans contrat car ‘ceux-ci étaient en cours de négociation’ avec la direction égyptienne. Le problème, c’est que les personnels ne savaient pas au juste ce qui faisait l’objet de négociation… L’équipe enseignante du premier degré, soit une quinzaine de personnes dont huit recrutés locaux en situation assez précaire, est en outre à la merci de la direction égyptienne (…). La charge de travail des enseignants est si importante qu’ils ont le sentiment de porter l’école à eux seuls. (…) Tous ces éléments pèsent. Et puis, les collègues n’ont plus les mêmes horaires, le climat général se détériore et l’ambiance dans l’équipe n’est plus au beau fixe. Visite de l’inspecteur de zone dans le primaire et constat peu enthousiasmant : il s’en est fallu d’un cheveu que l’établissement ne soit homologué. Motifs invoqués : absence de projet d’école et de cadres dignes du système français. Alors, au boulot ! Mais les personnels y sont déjà et même plus qu’avant ! (…) Ainsi, malgré la réticence de l’inspection à cette évolution (non prise en compte du rythme biologique des enfants et arabisation jugée excessive), élèves et enseignants ont vu leurs horaires de travail s’allonger mais… pas leur salaire ! Le Sgen-CFDT s’étonne, compte tenu de l’actuelle situation, que l’homologation ne fasse pas l’objet d’un cadre plus précis avec obligation d’inclure un volet social car les personnels, et surtout les recrutés locaux, ont la vie dure à Misr. Quand aux titulaires, ils viennent et s’en vont… A Misr Language school, c’est pas la vie en rose tous les jours… » Téléchargeable en ligne : etranger.sgen-cfdt.org/spip/IMG/pdf/88Printemps2008.pdf, pp. 10-11.

[3] Voilà quelques notes & moyennes (brillantissimes !) d’élèves de 4e A en Français, pour le 2e trimestre 2012-2013, mises par leur « Professeur de Philosophie » aux qualifications douteuses qui prenait en charge ces cours : l’élève N*** a trois notes : 15/20, 02/20, 15/20, ce qui lui fait une moyenne de… 16/20 ! L’élève A*** a deux notes, 01/20 et 11,5/20, ce qui lui fait une moyenne de… 14/20 ! L’élève J*** a trois notes, 13,5/20, 06/20 et 15,5/20, ce qui lui fait une moyenne de… 18/20 ! L’élève M*** a trois notes, 16,5/20, 01/20, 00/20, ce qui lui fait une moyenne de… 13/20 ! L’élève L*** a deux notes, 05/20 et 07,5/20, ce qui lui fait une moyenne de… 14/20 ! L’élève H*** a trois notes, 05/20, 08/20, 15,5/20, ce qui lui fait une moyenne de… 18/20 ! L’élève R*** a trois notes, 16,5/20, 12/20 et 15,2/20 (sic), ce qui lui fait une moyenne record de… 19/20 !!! Etc., etc.

[4] En voici la conclusion : « Je ne connais pas le droit local mais il y a une telle corruption et les institutions égyptiennes telle la justice sont dans un tel délitement que les employeurs peuvent agir en toute impunité. La MLF (malgré ses beaux discours sur ses valeurs et son éthique) et l’administration française en la personne de l’attaché de coopération culturelle [M. Paul PETIT], de par leur manque de réaction cautionnent en quelque sorte les agissements de toutes ces écoles homologuées. Cet attaché s’était déplacé à l’école lorsque notre collègue d’origine algérienne [moi-même] s’est vu refuser l’entrée dans l’école, il a gentiment conseillé à notre collègue de renoncer à faire valoir ses droits sous peine de se retrouver dans un avion avec un aller simple. Lorsque notre collègue lui a parlé des nombreux dysfonctionnements de l’école il lui a répondu qu’il était au courant mais que c’était encore pire dans d’autres écoles du Caire comme Balzac [autre école du réseau Mission Laïque Française]… (elles aussi homologuées). En bref, tout le monde sait mais ne dit rien car « c’est politique »… c’est le prix à payer de la Francophonie !!! (…) J’étais révoltée lorsque je voyais écrit sur la banderole à l’entrée de l’établissement « Lycée français » alors que de mon point de vue c’est une complète imposture. Je peux certifier qu’aucun cadre de l’éducation nationale française n’est venu dans cet établissement en vue de l’homologation de la terminale durant l’année scolaire 2012-2013 et pourtant la terminale a été homologuée. »

[5] Précisons que le lien inclus dans ce courrier ne renvoyait pas à la version française et détaillée de mon récit, mais à la synthèse en arabe de celui-ci, ce qui constitue un encouragement – superflu – à la traduire intégralement.

[6] Y aurait-il une confusion, volontaire ou non, entre le nom propre introduit par l’article défini « la », qui désignerait spécifiquement la mafia italienne, et le nom commun qui peut être employé pour toute organisation aux procédés crapuleux ? Signalons du moins la faute d’accord (« relatif » pour « relative »), et le fait que « marchands de soupe », qui est également une accusation sérieuse, n’ait pas été relevé.

[7] L’article 6-I de la loi 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance sur l’économie numérique invoqué par la MLF au prétexte que cet article y contreviendrait définit effectivement des contenus illicites que les hébergeurs sont tenus de retirer sous certaines conditions, mais d’une part, le contenu en question relève de l’accusation de diffamation et n’est aucunement concerné, et d’autre part, ces conditions même ne sont nullement remplies. En effet, la partie notifiante est tenue de joindre à sa demande de retrait « la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté », ce qui n’a pas pu être le cas, la mise en demeure qui m’a été adressée étant postérieure à celle adressée à Google. Plus encore, la MLF peut même être passible de poursuites pour fausse dénonciation, comme le stipule le point 4 : « Le fait, pour toute personne, de présenter aux personnes mentionnées au 2 un contenu ou une activité comme étant illicite dans le but d’en obtenir le retrait ou d’en faire cesser la diffusion, alors qu’elle sait cette information inexacte, est puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 Euros d’amende. »

[8] André Thévenin, La Mission laïque française à travers son histoire, 1902-2002, Editions Mission laïque française, Septembre 2002, p. 10.

[9] « Lorsque Deschamps prend en main l’organisation et le contrôle de l’instruction à Madagascar, il sait que ce dont on l’a chargé fait partie intégrante de l’œuvre colonisatrice de la France. » Id., p. 11.

[10] Id., p. 10.

[11] Voilà les « idées de civilisation de la plus haute portée » du projet colonial défendu par Jules Ferry : « Vous nous citez toujours comme exemple, comme type de la politique coloniale que vous aimez et que vous rêvez, l’expédition de M. de Brazza. C’est très bien, messieurs : je sais parfaitement que M. de Brazza a pu jusqu’à présent accomplir son œuvre civilisatrice sans recourir à la force; c’est un apôtre ; il paye de sa personne, il marche vers un but placé très haut et très loin ; il a conquis sur ces populations de l’Afrique équatoriale une influence personnelle à nulle autre pareille ; mais qui peut dire qu’un jour, dans les établissements qu’il a formés, qui viennent d’être consacrés par l’aréopage européen et qui sont désormais le domaine de la France, qui peut dire qu’à un moment donné, les populations noires, parfois corrompues, perverties par des aventuriers, par d’autres voyageurs, par d’autres explorateurs moins scrupuleux, moins paternels, moins épris des moyens de persuasion que notre illustre de Brazza ; qui peut dire qu’à un moment donné, les populations noires n’attaqueront pas nos établissements? Que ferez-vous alors ? Vous ferez ce que font tous les peuples civilisés et vous n’en serez pas moins civilisés pour cela : vous résisterez par la force, et vous serez contraints d’imposer, pour votre sécurité, votre protectorat à ces peuplades rebelles. Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures […] Il y a pour les races supérieures un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. […] De nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, avec grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de civilisation. » Jules Ferry, Discours du 28 juillet 1885.

[12] Pierre Deschamps, sous le pseudonyme maçonnique de Ben Hiram, L’Education des peuples de couleur par les Blancs considérée du point de vue maçonnique, Lyon, Paul DERAIN, 1956, p. 6.

[13] « D’une façon générale on peut dire qu’en Algérie, comme dans nos autres territoires coloniaux, l’administration a fort abusivement suivi les méthodes de l’économie accaparée, en vertu de laquelle les concessions et les commandes d’Etat, distribuées et payées parfois trop largement, sans nécessité publique, enrichissaient exclusivement, aux dépens de l’ensemble de la société, une minorité de grands privilégiés voisins du pouvoir. » Emmanuel Beau de Loménie, 1954. « Il apparut bientôt que des particuliers pouvaient s’enrichir aux colonies même si elles n’étaient nullement rentables pour l’Etat. La politique coloniale fut incontestablement pour un petit nombre d’individus une affaire énorme et pour la masse un mythe. » Henri Brunschwig, Mythes et réalités de l’impérialisme colonial français, 1871-1914, Armand Colin, Paris, 1960, p. 185. Voir notamment la conférence d’Henri Guillemin, L’Occident dévore le monde, où ces propos sont rapportés en guise de conclusion.

[14] « Les colonies sont, pour les pays riches, un placement de capitaux des plus avantageux. […] Pour les pays vieux et riches, la colonisation est une des meilleures affaires auxquelles ils puissent se livrer. […] Eh oui ! pour les capitalistes ! […] La question coloniale, c’est, pour les pays voués par la nature même de leur industrie à une grande exportation, comme la nôtre, la question même des débouchés. […] Il suffit que le lien colonial subsiste entre la mère-patrie qui produit et les colonies qu’elle a fondées, pour que la prédominance économique accompagne et subisse, en quelque sorte, la prédominance politique. » Ibid. Voir également : « La politique coloniale est fille de la politique industrielle. […] L’Europe peut être considérée comme une maison de commerce qui voit depuis un certain nombre d’années décroître son chiffre d’affaires. La consommation européenne est saturée, il faut faire surgir des autres parties du globe de nouvelles couches de consommateurs, sous peine de mettre la société moderne en faillite et de préparer pour l’aurore du vingtième siècle une liquidation sociale par voie de cataclysme, dont on ne saurait calculer les conséquences. […] La paix sociale est, dans l’âge industriel de l’humanité, une question de débouchés. […] [Finie] l’époque des annexions modestes et à petits coups, des conquêtes bourgeoises et parcimonieuses. Aujourd’hui, ce sont des continents que l’on annexe, c’est l’immensité que l’on partage, et particulièrement ce vaste continent noir, plein de mystères farouches et de vagues espérances, que la papauté divisait il y a trois siècles d’un trait de plume et d’un signe de croix entre les deux couronnes catholiques d’Espagne et de Portugal, et sur lequel la diplomatie d’aujourd’hui trace avec une activité fiévreuse ce qui s’appelle, en jargon moderne, ‘la limitation des sphères des intérêts respectifs’. » Jules Ferry, in Le Tonkin et la mère-patrie ; témoignages et documents, Victor-Havard Editeur, Paris, 1890, pp. 37-43.

[15] Jean Jaurès décrivait la colonisation pour ce qu’elle était, et prévoyait la levée d’une « triste moisson » chez les peuples opprimés suite aux « semences de colère, de douleur et de haine » de la France : « Il paraît que les habitants des colonies sont une sorte de bétail innombrable et inférieur que les races blanches peuvent exploiter, décimer, asservir. Voilà un préjugé barbare, un préjugé d’ignorance, de sauvagerie et de rapine. Ces peuples sont composés d’hommes et cela devrait suffire ; mais ils sont composés d’hommes qui pensent, qui travaillent, qui échangent et qui ne sont pas résignés à subir indéfiniment les violences d’une Europe qui abusait de leur apparente faiblesse. Aujourd’hui c’est d’Afrique, du Congo, du Maroc, que chaque jour nous arrivent des récits accablants sur les actions de nos soldats devenus de véritables mercenaires incontrôlés : assassinats sadiques, incendies de villages, pillages permanents, violations de sépultures… […] Rassurez-vous, je ne l’ignore pas plus que Monsieur le Président du Conseil [Clemenceau], qui écrivait il n’y a pas si longtemps, en parlant de la Chine : ‘On a tué, massacré, violé, pillé tout à l’aise, dans un pays sans défense ; l’histoire de cette frénésie de meurtres et de rapines ne sera jamais connue, les Européens ayant trop de motifs pour faire le silence.’ […] Il faut en tout cas espérer, Messieurs, que nos soldats s’attellent chaque jour, par leurs manières hautement généreuses, lorsqu’ils pacifient les populations africaines, à corriger ce que votre maître Tocqueville disait en 1847 : ‘Nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu’elle ne l’était avant de nous connaître.’ […] Des fanatiques ? Alors là, messieurs, je ne comprends pas : quand un Français vous dit qu’il serait prêt à défendre, jusqu’à la dernière goutte de son sang, l’intégrité de son pays, vous le félicitez. Vous affirmez même que des hommes qui ne voudraient pas mourir pour leur pays seraient les derniers des lâches ! Mais quand ces hommes sont des Africains qui voient venir ce qui pour nous est la France, mais ce qui pour eux est l’étranger, qui voient venir des hommes en armes et des obus pleuvoir ; quand eux se défendent et défendent leur pays, vous les déshonorez du nom de fanatiques ! Ces hommes que vous insultez, messieurs, sont seulement aussi patriotes que vous. Et aussi attachés que vous à défendre leur pays et leur civilisation. Une fois de plus, c’est le préjugé d’ignorance qui vous mène.
 C’est à vous, à la France, à toute la France pensante, qu’il faudrait enseigner ce qu’est cette civilisation arabe que vous ignorez et méprisez, ce qu’est cette admirable et ancienne civilisation. À laquelle les pays européens, je dis bien les pays européens, viennent montrer le visage hideux de l’invasion et de la répression… Ce monde musulman que vous méconnaissez tant, messieurs, depuis quelques décennies prend conscience de son unité et de sa dignité. » Voir http://blogs.mediapart.fr/blog/jerome-pellissier/070115/quand-jaures-parlait-des-fanatiques-de-lislam

[16] Précisons que contrairement à Ferry, Eugène Etienne ne s’embarrassait pas même de prétextes de civilisation ou de grandeur et clamait les objectifs véritables de la politique coloniale en toutes lettres : « L’idée de patrie repose sur l’idée du devoir, alors qu’au contraire le fondement de l’idée coloniale n’est et ne peut être que l’intérêt bien entendu qui pousse une nation à sortir librement de ses frontières, à se répandre de son plein gré au dehors. Ainsi, il apparaît clairement que le seul critérium à appliquer à toute entreprise coloniale, c’est son degré d’utilité, c’est la somme d’avantages et de profits devant en découler pour la métropole. Ce caractère utilitaire de l’expansion coloniale me paraît, quant à moi, hors de doute. Si je n’avais pas eu le sentiment profond, l’intime conviction qu’après la période de conquête s’ouvrirait, avec une égale ampleur et un égal succès, la période de la mise en valeur, de l’utilisation économique de ces territoires, je le dis ici avec une entière franchise, j’aurais considéré comme un devoir patriotique de ne pas engager mon pays dans des entreprises où il n’aurait recueilli que des satisfactions platoniques, même une gloire éphémère, mais aucun profit certain et durable. » Eugène Etienne, Les compagnies de colonisation, Librairie Maritime et Coloniale, Paris, 1897, pp. 13-14.

[17] Selon Pierre Deschamps, le fondateur de la MLF, l’éducation était effectivement un outil de contrôle et de domination des peuples indigènes, et même le principal d’entre eux, et c’est notamment parce que cela n’a pas été compris assez bien que la décolonisation était maintenant à l’œuvre. Il voyait les établissements de la Mission Laïque comme un moyen de perpétuer cette domination. Voilà ce qu’il déclarait rétrospectivement en 1956 : « Donc, tandis que, par sa force militaire, la puissance de son industrie et de son commerce, l’Europe dominait le Monde au point de vue matériel, elle en poursuivait aussi la conquête spirituelle par la propagation de ses croyances, de ses idées, par la diffusion des découvertes qu’elle réalisait dans les sciences ; elle en était arrivée à diriger l’évolution universelle. Autant que ses soldats et ses négociants, ses missionnaires, ses professeurs, ses savants comptent parmi les facteurs de sa suprématie. Or, cette suprématie, l’Europe est en train de la perdre. […] Il me semble – peut-être est-ce par myopie professionnelle – que parmi toutes ces causes [avancées pour expliquer ce déclin européen], la principale peut-être, celle qui expliquerait toutes les autres, est d’ordre pédagogique. […] Et voilà pourquoi je pense qu’il y a un certain rapport de cause à effet – je n’en exclus aucun autre – entre l’éducation qui leur a été dispensée, et la crise de la situation mondiale, ou, comme on le dit, du ‘déclin de l’Occident’, particulièrement manifeste quand on le voit de chez eux. Erreur et échec pédagogique qui ont entraîné un recul sur toute la ligne, recul politique, social, humain : le ‘flot montant des peuples de couleur’ a arrêté la marée blanche et en provoque le reflux. […] Ces écoles [sont] pour les Blancs un moyen conscient de réaliser, au point de vue spirituel, une œuvre de grande envergure, une sorte de ‘réduction à l’unité’ de la société humaine. Où en sommes-nous dans cette entreprise, commencée il y a bien longtemps et toujours poursuivie avec une ardeur jamais lassée ? Il est troublant de constater que, non seulement, les efforts des Blancs semblent avoir abouti à un échec relatif, eu égard à l’énergie qu’ils ont déployée, mais que les peuples qu’ils ont élevé dans l’espoir d’en faire des disciples, ou au moins des amis, que les peuples dont ils se sont proposés d’accroître la valeur humaine, n’ont actuellement qu’une seule pensée qu’ils clament avec force : les chasser de chez eux. […] Mais il faut aussi former l’espoir que la mission de l’Europe n’est pas achevée. […] L’Europe [devra] réviser ses conceptions pédagogiques : une autre méthode doit présider aux rapports culturels entre les peuples. Il apparait déjà que, à ce point de vue, elle s’oriente vers une formule voisine de celle que, il y a cinquante ans, proposa la Mission laïque […] s’il en est temps encore, si les Blancs peuvent encore orienter l’histoire. Craignons, en effet, que les peuples jusqu’alors soumis ne s’émancipent et, forts de ce que nous leur avons appris, ne se donnent à eux-mêmes une éducation plus conforme à leurs aspirations. » Pierre Deschamps, L’Education des peuples de couleur par les Blancs considérée du point de vue maçonnique, op. cit., pp. 6-10.

[18] « Dans le Proche-Orient, peut-être moins qu’ailleurs, nous n’avons pas le droit d’abandonner la tâche culturelle, civilisatrice, que nous avons entreprise et qui donne à notre Nation son vrai visage. La France peut-elle perdre les milliers d’élèves qui fréquentent ses écoles ? Nous ne le pensons pas et nous croyons que nos interlocuteurs eux-mêmes ne le pensent pas. » Bulletin d’information de la MLF n° 23, Août 1957, pp. 4-5.

[19] Ibid.

[20] Id., p. 8. Rapport moral de Marcel Fort.

[21] Ibid. Effectivement, il est bien connu qu’au-delà de la « culture française », les peuples et nations du Proche-Orient n’ont pas de référents communs dignes de ce nom : leur histoire, leur culture et leurs traditions millénaires, l’arabité et l’islamité, etc., sont nulles et non avenues aux yeux de ces Messieurs.

[22] « Nous n’ignorons pas que toute organisation culturelle pose des problèmes financiers redoutables ; nous espérons bien que la France pourra enfin bientôt faire à l’expansion culturelle française la place qui lui revient, d’autant qu’il s’agit là de placements rentables. » Id., p. 8.

[23] La presse française a abondamment repris cette version des faits, ignorant les rapports de la presse arabe, notamment au Qatar et au Liban. Voir notamment ce commentaire d’un parent d’élève dans l’article du Nouvel Observateur [orthographe et ponctuation corrigées] :

« Très chère Sarah [Halifa-Legrand, auteure de l’article],

Je suis une maman du Lycée Voltaire et je suis désolée de vous dire que vous avez été manipulée, ou alors vous avez mal fait votre travail.

1- L’Etat du Qatar ne s’est jamais mêlé du programme du Lycée Franco-Qatarien Voltaire, sauf pour demander qu’y soit enseignée l’histoire du Qatar (demande légitime, il me semble), et que l’apprentissage de la langue arabe pour les élevés dont c’est la langue maternelle (à 40% qataris) soit conforme au programme de l’éducation nationale du Qatar (jusqu’où peut-on pousser le colonialisme ?).

2- Le manuel d’histoire avait été retire volontairement par l’ancien proviseur, Jean Pierre Brosse, il y a 2 ANS, et non pas cette année, car il a été intimidé par 2 mamans égyptiennes et non pas par les autorités qatariennes.

3- Le proviseur qui l’a remplacé en 2011-2012, Franck Choinard, a réintroduit sans conditions ni intervention extérieure le manuel sans protestation de quiconque.

4- Le différend qui oppose les partenaires Qataris à la Mission Laïque est purement FINANCIER : la Mission Laïque a utilisé les fonds du Lycée Franco-Qatarien Voltaire pour financer, à l’insu de leurs partenaires locaux 3 lycées, 1 en Irak et 2 en Afghanistan (2 audits, l’un français, l’autre qatari, confirment ces faits)

5- Outres, les Qataris ont demandé à la Mission Laïque Française de quitter l’établissement suite à cette faute grave. Cela a eu lieu en Juin 2012. La rentre 2012-2013 s’est faite sans la Mission Laïque, dont le logo a été retiré. »