Par Ramin Mazaheri
Source : http://thesaker.is/frances-yellow-vests-proving-cops-are-indeed-part-of-the-1/

Traduction : sayed7asan.blogspot.fr

« La plus inévitable de toutes les lois, la seule qui soit toujours sûre d’être obéie, c’est la loi de la force. L’homme armé est le maître de celui qui ne l’est pas ; un grand corps armé, toujours subsistant au milieu d’un peuple sans armes, est nécessairement l’arbitre de sa destinée ; celui qui commande à ce corps, qui le fait mouvoir à son gré, pourra bientôt tout asservir. […] Partout où une semblable puissance existe sans contrepoids, le peuple n’est pas libre, en dépit de toutes les lois constitutionnelles du monde ; car l’homme libre n’est pas celui qui n’est point actuellement opprimé ; c’est celui qui est garanti de l’oppression par une force constante et suffisante. […] On veut diviser la nation en deux classes, dont l’une ne serait armée que pour contenir l’autre, comme un ramas d’esclaves toujours prêts à se mutiner ! Et la première renfermerait tous les tyrans, tous les oppresseurs, toutes les sangsues publiques, et l’autre le peuple ! » 

Robespierre, Discours sur l’organisation des gardes nationales [exclusivement bourgeoises, établies pour tenir le peuple en respect et le réprimer s’il s’avisait de faire valoir ses droits.], 18 décembre 1790.

Le parcours de la manifestation de « l’Acte 16 » du 2 mars était une sorte de visite guidée passant par les bastions des riches criminels et traîtres au peuple (l’OCDE, une école de marketing de luxe, etc.). Il s’est terminé au rond-point d’un quartier chic, Denfert-Rochereau.

Tandis que les manifestants se rassemblaient et que les flics s’armaient de pied en cap, ayant un peu de temps entre mes interviews pour la chaîne Press TV, je suis allé chez un fleuriste. Il me fallait des tuteurs pour redresser ma plante affaissée au bureau, George W. Bouchra, du nom d’un ancien chef dentreprise qui a quitté son poste de manière ignominieuse (elle n’a jamais été employée par Press TV ni par mon patron, c’est un bureau partagé).

Alors que je commençais à parler à la vendeuse, qui semblait se demander s’il lui fallait fermer boutique et s’enfuir ou non, un membre de la police anti-émeute française a fait irruption et a interrompu notre conversation. Il avait soif. Je comprends pourquoi : les policiers anti-émeute français portent plus de protections qu’un joueur de football américain, et ont plus d’équipement d’attaque que Batman. Sa carrure imposante rendue ainsi encore plus intimidante, il a tout à fait effrayé la petite fleuriste.


La fleuriste, bien sûr, s’attendait à passer sa journée paisiblement parmi ses fleurs délicates. Elle ne savait probablement pas que la manifestation des Gilets Jaunes allait littéralement se consumer devant sa porte.

Je le jure, il lui a demandé une bouteille d’eau pas une fois, mais de 6 à 9 fois. Était-il convaincu que les fleuristes vendent aussi de l’eau en bouteille ? Plus vraisemblablement, parce qu’il était policier, il se disait qu’il lui suffirait de faire pression sur cette femme / citoyenne et qu’elle lui remettrait sa propre bouteille d’eau personnelle. Bien sûr, étant un policier français, il savait également qu’il n’y aurait aucune répercussion si son action n’était pas règlementaire.

La jeune femme intimidée a continué à insister sur le fait qu’elle navait pas d’eau à lui donner, et le policier a finalement abandonné. Quand elle s’est retournée vers moi, je lui ai demandé : « Et vous n’avez rien à manger pour moi ? »

Avec le même regard apeuré, elle répondit avec insistance : « Non, je n’ai rien à manger ! Je suis désolée ! » Elle m’avait vraiment cru sérieux, la pauvre ! Ce n’est qu’après que je lui aie souri et que j’aie insisté à nouveau, en parodiant manifestement le policier, qu’elle s’est enfin détendue. Elle m’a donné les tuteurs gratuitement.

La morale de cette histoire, c’est à quel point les policiers occidentaux font partie de l’élite en 2019. Vraiment, il n’y a que les 1% dominants de la société qui ont le sentiment de pouvoir agir au-dessus des lois avec autrui, en toute impunité, de manière si flagrante et si humiliante.

Les « 1% » peuvent être constitués de la seule oligarchie économique, mais pas nécessairement. Le slogan du Mouvement américain Occupy (Wall Street)était : « Nous sommes les 99%. » Que nous disions « La police fait partie des 1% » ou « Les flics ne font pas partie des 99% », c’est le même résultat. Et il est temps de commencer à le dire ouvertement. 

 

Et ils s’en vantent !

Tout le monde, dans tous les pays occidentaux, déteste la police

Voilà quelque chose qui n’a jamais été rapporté par les médias dominants : lors de toute manifestation française où des policiers anti-émeute sont déployés, on entend forcément le chant « Tout le monde déteste la police ! »

Maintenant, puisque les Gilets jaunes sont (censément) entièrement composés de suprématistes Blancs, de fascistes antisémites, on ne pourrait jamais y entendre un tel slogan, pas vrai ? Les Gilets jaunes – parce qu’ils seraient un mouvement d’une crasse ignorance de classe, intolérant et axé sur l’islamophobie, qui réclamerait l’exhumation du squelette de Jeanne d’Arc pour remplacer Emmanuel Macron à la présidence – aiment évidemment la police. C’est à cause de tels préjugés qu’un intellectuel français à la jonction de la gauche (« du travail ») et de la droite (« des valeurs ») comme Alain Soral est convaincu que les policiers portent secrètement un gilet jaune sous leur uniforme bleu, et qu’il attend avec impatience le moment où les policiers français feront ce qui ne se fait jamais, absolument jamais dans une révolution politique (en Occident), à savoir rejoindre les manifestants. Les policiers ne changent jamais de bord – ils ont trop à perdre.

Oh, mais attendez ! En fait, les Gilets jaunes scandaient bien ce slogan anti-flics ! Pourquoi donc ? La raison en est que tout le monde déteste les flics en France. Les Français les détestent avec la même force qu’ils haïssent les 1% (qui accaparent le pouvoir et les richesses et les écrasent), parce que les flics font partie des 1%.

Considérons l’histoire : les exigences de provisions et de quartier (sinon de bouteilles d’eau) ont toujours été imposées aux populations par les soldats et les policiers des temps anciens. L’interdiction du cantonnement des soldats – c’est-à-dire du vol et du parasitisme – est le 3ème amendement de la Déclaration des droits des États-Unis pour une bonne raison. Du point de vue des citoyens, l’idée absurde que la Garde prétorienne, ou toute personne possédant une épée et une autorisation d’en faire usage, ne ferait pas partie des 1%, ne pourrait être énoncée que par un dogmatique ignare.

Considérons maintenant l’année 2019. Adressez-vous aux femmes de n’importe quelle communauté de cols bleus aux États-Unis : elles considèrent les policiers comme les meilleurs partis. Pourquoi ? Parce quils ont tout ce qu’une femme conservatrice pourrait souhaiter : statut social, emplois garantis, retraite anticipée et excellentes pensions.

Statut social : pour les personnes qui nont jamais vécu dans une petite ville – et j’ai vécu dans plusieurs de ces villes en tant que reporter –, les policiers y sont de vraies stars sociales. Tout le monde sait qui ils sont et quel est leur pouvoir ; tout le monde est à leurs pieds, par peur d’eux et de leur pouvoir.

Emplois garantis : Ah, mais nos hommes en bleu sont de vrais héros pour avoir le courage de faire des métiers si dangereux, non ? Faux. Ce n’est même pas dans le top 10 des professions les plus dangereuses – être un arbitre de baseball est presque aussi meurtrier. Et consultez bien cette liste des 25 métiers les plus dangereux (aux Etats-Unis) – les policiers sont parmi les mieux payés de la liste (salaire médian : 59 680 $).

Que des policiers français aillent en prison est presque du jamais vu, et dans les cas rarissimes où cela arrive, ce n’est certainement pas pour avoir amoché ou même tué un musulman ou un Noir (ou même un simple citoyen « de souche »). En droit français, le témoignage d’un policier est toujours valable et ne peut pas être remis en cause, mais seulement réfuté par des preuves. C’est pourquoi tant de manifestants innocents vont en prison – parce que les flics le disent.

Retraites anticipées et excellentes pensions : En effet, la seule fois où j’ai vu une manifestation française aboutir à une capitulation immédiate du gouvernement, c’est lorsque les policiers ont manifesté : des réformes ont été promises le jour même. Les politiciens savent à quel point les Gardes prétoriennes sont vitales. Aux États-Unis, la méthode habituelle de retraite des policiers est la retraite après seulement 20 ans d’exercice avec la moitié du salaire… Ce n’est pas une mesure avantageuse seulement pour les petites villes : qui ne voudrait pas de ça ?

Considérez tous ces éléments ensemble et la conclusion est limpide : les policiers ne font pas partie des 99%.
 
Les Gilets jaunes jettent des excréments ou « cacatov » sur les policiers : la forme ultime de rejet

En tant que membre et partisan de cultures non canines [le chien est un animal impur en Islam], je trouve déjà extrêmement dégradant de remplir un sac en plastique d’excréments, mais être touché par un tel projectile – wow ! C’est une insulte à un niveau presque impensable. (Je suppose qu’il s’agit d’excréments de chien, LOL !)

« Les policiers étaient profondément humiliés », lit-on dans le reportage. Mais ça a l’air fair-play, non ? C’est ce que les flics font subir jour après jour aux citoyens ordinaires ; c’est ce que le flic a fait subir à la fleuriste.

Les Gilets jaunes font ce que leurs cousins  ​​américains de la Nouvelle-Orléans ont fait pendant la guerre civile : ils déversaient leurs pots de chambre sur la tête d’une armée avec laquelle ils n’avaient aucun lien et qu’ils méprisaient.

Les Occidentaux devraient – mais ils ne le font pas – établir une distinction claire entre la police et l’armée. Les soldats méritent infiniment plus de respect que les flics, qui, dans les sociétés capitalistes et impérialistes, sont issus des couches les plus réactionnaires de la population. Les policiers en Occident ne ressemblent en rien aux Gardiens de la révolution à Cuba ou en Iran – les flics occidentaux empêchent violemment toute révolution progressiste d’éclore ou d’aboutir, et tous les citoyens le savent, mais ne peuvent rien y faire.

Les citoyens ne peuvent pas non plus arrêter la déification épouvantable de la police dans les sociétés occidentales depuis le 11 septembre. En dépit de toutes les balles dans le dos des minorités, de tous les sites de torture secrets et de toutes les vidéos de passages à tabac et de tirs filmées sur smartphone, les flics sont intouchables sur les plans culturel, légal et fiscal car ils font partie des 1%. Les grands médias occidentaux idolâtrent les policiers, et les principaux politiciens occidentaux protègent leurs salaires et leurs pensions tout en réduisant ceux des autres fonctionnaires, parce qu’ils sont tous ensemble contre les 99%.

Les Occidentaux savent que je pourrais abondamment citer de tels exemples de glorification des policiers, qui sont devenus si extrêmes qu’ils confinent à une servitude écœurante. Le traitement des policiers dans les sociétés capitalistes / impérialistes est, à l’instar de la plupart des problèmes occidentaux, tellement enraciné qu’il ne peut être qualifié que de « dysfonctionnement sociopolitique total », et qu’on ne pourrait y remédier que par quelque chose comme une révolution culturelle chinoise ou iranienne. Et en substance, c’est ce que les Gilets Jaunes réclament.

Jusqu’à ce que cela se produise, je continuerai à faire mes reportages honnêtement sur les arrestations de masse, les procès de masse et les emprisonnements de masse, qui font désormais partie de la vie quotidienne des Français.

Un langage plus direct, qui est rarement entendu dans les médias grand public : chaque samedi, le nombre de personnes blessées et arrêtées simplement pour avoir manifesté contre les politiques gouvernementales augmente par dizaines voire par centaines.

Quelques chiffres : plus de 8 000 personnes arrêtées, 500 blessés majeurs, plus de 2 000 emprisonnées, plus de 1 500 en attente de procès (au 14 février), 12 morts, plus de 20 éborgnés, 6 mains arrachées, plus de 10 000 tirs de balles en caoutchouc (LBD). Si le Venezuela atteint ne serait-ce qu’1% de ces chiffres, l’ONU autorisera une intervention militaire.

Plutôt que de faire des concessions, de changer de politique ou de refléter la volonté populaire, le gouvernement a recours à la répression légale en plus de la répression physique pour dissuader les gens d’adhérer au mouvement des Gilets jaunes. Tous les jours, les journaux, grands et petits, rapportent de nouvelles condamnations de Gilets jaunes.

Ce qui est triste, c’est que la majorité des personnes arrêtées manifestaient pour la première fois – ils ne savaient tout simplement pas comment se comporter avec les policiers, comment les éviter et comment faire valoir leurs droits contre les soudards qui les maltraitent. Ce ne sont pas les militants de longue date qui sont en prison, mais vraiment les plus innocents et les plus désespérés. Normalement, en France, une peine de moins de deux ans n’entraîne pas de prison ferme – une « peine avec sursis » –, mais pas pour les Gilets jaunes.

La France n’est pas une nation démocratique moderne, mais une « République des balles en caoutchouc » dirigée par un « homme fort libéral » ; ce n’est pas nouveau – les Gilets jaunes vivent ce que les musulmans ont subi pendant deux ans durant l’état d’urgence.

Cet article ne fait que brièvement survoler la violence épouvantable, les arrestations, les poursuites et l’emprisonnement massifs des Gilets jaunes en France, infligés par ces mêmes policiers que les médias occidentaux présentent inlassablement comme les plus grands héros de la nation. Mais seuls les réactionnaires croient encore à ce mythe. Tout le monde déteste la police ; seul un réactionnaire déteste les Gilets jaunes.


 
Les médias sont encore à blâmer : les balles en caoutchouc sont appelées euphémiquement « flash-ball ». Elles sont soi-disant tirées par des « lanceurs de balles de défense », tour de passe-passe linguistique qui fait automatiquement des manifestants les agresseurs. Les blessures des policiers sont traitées comme équivalentes à celles des manifestants, bien que je n’aie jamais entendu parler d’un policier éborgné, d’un policier dans le coma, d’un policier tué ou de plus de 200 policiers gravement blessés à la tête – les médias auraient sûrement relayé de tels faits en boucle s’ils avaient eu lieu. Bien sûr, à en croire ces mêmes médias, les manifestants sont des hooligans déchaînés, qui commettent des violences sans rime ni raison, et ont des revendications « tellement diverses » qu’il ne vaut même pas la peine de les examiner. Ce ne sont pas les victimes de huit années d’austérité, mais les (mauvais) « perdants » de la mondialisation néolibérale, qui ont perdu dans un match 100% régulier. Chaque sondage est disséqué de manière à montrer que la popularité des Gilets jaunes diminue, et non qu’ils jouissent d’une popularité sans précédent pour un mouvement de protestation en France. Toute défense des Gilets jaunes doit commencer par une condamnation de « leur » violence. Etc.

L’acte 16 était le plus discret à ce jour… je veux dire à Paris. Balles en caoutchouc, canons à eau, gaz lacrymogènes et arrestations massives étaient encore à l’œuvre dans les petites villes plus accessibles aux habitants des zones rurales. La fleuriste n’avait rien à craindre ce jour-là, à l’exception de la police anti-émeute.

Un article comme celui-ci sera peut-être brandi devant moi par la Police des frontières lors de mon prochain vol aux États-Unis. Il ne constituerait pas seulement un hara-kiri pour la carrière d’un journaliste des médias dominants, mais il n’aurait jamais été validé par aucun rédacteur en chef. Cependant, ce n’est pas comme si les policiers occidentaux avaient jamais eu besoin de justifier leurs actes d’intimidation, d’humiliation et de violence. Et peut-être que les 1% m’auront déjà eu d’ici là, soit par la décision d’un puissant, soit via leurs mandataires lourdement armés.

C’était un article sur les horribles violences policières et judiciaires contre les Gilets jaunes, à peine abordées – car les problèmes de la France sont bien plus profonds que ceux des trois derniers mois.

Ramin Mazaheri est le correspondant principal de la chaîne iranienne anglophone Press TV à Paris. Ayant la double nationalité américaine et iranienne, il vit en France depuis 2009. Il a été journaliste quotidien aux Etats-Unis et a exercé en Egypte, en Tunisie, en Corée du Sud et ailleurs. Ses articles ont été publiés dans divers journaux, revues et sites Web, et il apparaît à la radio et à la télévision.

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