Entretien du Secrétaire Général du Hezbollah, Sayed Hassan Nasrallah, le 26 janvier 2019, avec Ghassan Ben Jeddou, fondateur de la chaîne panarabe et anti-impérialiste Al-Mayadeen

Cette interview en direct, très attendue en Israël et dans le monde arabe, a duré plus de 3 heures.


Transcription :

Ghassan Ben Jeddou : […] Pourquoi avez-vous gardé le silence depuis le 10 novembre dernier, et décidé de prendre la parole (seulement) aujourd’hui ?

Hassan Nasrallah : Au nom de Dieu, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.

De toute évidence, ce silence, ou le fait que je me sois tenu à l’écart des médias, n’ont rien à voir avec des problèmes de santé, et je reviendrai sur ce point dans quelques instants, car durant cette période, on s’est souvent enquis de mon état de santé, mais je confirme que tout ce qui a été dit (dans les médias israéliens et du Golfe) n’est que mensonges sans aucun fondement de vérité. Mon cerveau, mon cœur [Rires], mon corps, et avant cela mon âme et mes facultés intellectuelles, avec la grâce de Dieu, mes sens, tout va pour le mieux. Je ne souffre d’aucun problème de santé, et je n’ai pas eu le moindre souci de santé.

Ghassan Ben Jeddou : Vous n’êtes pas allé (vous faire soigner) à Shiraz (Iran) ?

Hassan Nasrallah : [Rires] Si seulement c’était vrai (Shiraz est l’une des plus belles villes d’Iran) ! Mais rien de tout cela ne s’est produit. Au contraire, dans un démenti précédent, j’ai dit à ceux qui s’enquéraient auprès de nous ou à ceux qui répandaient ces rumeurs que de base, je n’avais aucun problème de santé, Dieu merci, malgré le fait que je viens d’atteindre la soixantaine. Et Dieu merci, par la Grâce de Dieu le Très-Haut et l’Exalté, je ne souffre d’absolument aucun problème de santé, et tout ce qui a été dit n’est que mensonges. Il est risible d’entendre certains auteurs et certaines sources parler non seulement de maladie, mais affirmer que je suis mort, que mon corps est dans une chambre froide depuis plusieurs jours, et que la direction du Hezbollah est en réunion exceptionnelle, etc. 

Quoi qu’il en soit, j’ai évoqué ce point pour appeler les gens à (être conscients du fait que) nous vivons dans une époque où notre slogan doit être « Vérifions la teneur des informations ! » (cf. Coran, 49, 6 : « Si un pervers vous apporte une nouvelle, vérifiez-en la teneur. »). Et je dis même plus que cela. Car il s’agit de s’assurer de la vérité ou du mensonge des informations (crédibles). Mais lorsque ces « informations » nous viennent de menteurs patentés, d’un ennemi fondamentalement fourbe et haineux, il ne faut y prêter aucune attention, ne s’en soucier aucunement et ne pas y apporter le moindre crédit. Voilà ce que je voulais dire en guise d’introduction.

Quant aux véritables raisons (de mon silence), premièrement, je ne suis pas un adepte des paroles et discours nombreux et profus, comme vous le savez. Lorsqu’il y a une occasion particulière durant laquelle je dois m’exprimer, je le fais – nous établissons là des principes qui resteront valables à l’avenir (au cas où cette situation se répète). A certaines occasions, je me dois d’apparaître et de discourir, comme par exemple le jour de la commémoration des dirigeants martyrs du Hezbollah, le 16 février, j’ai l’obligation de parler, naturellement : cela fait partie de nos traditions au Hezbollah. Il y a des occasions particulières ou je me dois de discourir longuement. Il y a parfois des événements et des développements qui se produisent, et on étudie la question de savoir si je dois m’exprimer, ou si un autre de nos frères (au Hezbollah) doit le faire, etc. Nous n’avons pas pour usage de parler sans raison précise.

La réalité est que durant les mois de décembre et de janvier, nous n’avons pas d’occasions (particulières). Il s’est trouvé qu’aucune de nos principales occasions – comme le Jour du Martyr, le Jour des dirigeants martyrs, le Jour de ‘Achoura, le Jour d’Al-Quds par exemple –, surtout celles du calendrier hégirien (islamique), n’est tombée en décembre ou en janvier. Par conséquent, je n’avais pas d’occasion (particulière) où je (devais) apparaître.

Deuxièmement, des événements se sont produits. L’événement important qui a eu lieu est ce qu’on a appelé le Bouclier du Nord, ou Bouclier Nordique, dont nous allons parler ce soir avec la grâce de Dieu. Après que Netanyahou ait annoncé, durant une conférence de presse exceptionnelle aux côtés de l’ancien chef d’état-major des armées (Gadi) Eizenkot, quelque chose de supérieur à des mesures militaires mais d’inférieur à une guerre, et qu’il l’a appelé l’Opération Bouclier du Nord. Et Netanyahou s’est engagé dans une énorme opération médiatique.

La vérité est que nous nous sommes réunis avec les frères (cadres du Hezbollah) et que nous avons fait une évaluation (de la situation). Nous avions plusieurs hypothèses d’action, et il a été envisagé que je m’exprime deux ou trois jours après l’annonce de Netanyahou, mais nos discussions nous ont amenés à la conclusion suivante : le mieux est de laisser Netanyahou, Eizenkot et les Israéliens dire tout ce qu’ils veulent jusqu’à la fin de l’Opération. Car il était clair que tant Netanyahou qu’Eizenkot avaient besoin de cette énorme opération médiatique, et on y reviendra plus tard avec la grâce de Dieu. Nous avons fait le choix de ne pas les aider, et de ne pas participer à leur grosse opération médiatique. Nous avons donc décidé, moi et mes frères (cadres) de tout le Hezbollah, de ne faire aucun commentaire sur l’Opération Bouclier du Nord jusqu’à ce qu’elle se termine.

Et à propos, pour confirmer cette idée, le mandat d’Eizenkot vient de se terminer, et afin de lui permettre de partir avec un accomplissement – je vais évaluer cet accomplissement dans un instant –, ils ont annoncé la fin de l’Opération Bouclier du Nord alors qu’elle n’est même pas terminée. Jusqu’à hier, les foreuses continuaient à rechercher des tunnels…

Ghassan Ben Jeddou : Hier ?

Hassan Nasrallah : Oui, jusqu’à hier, vendredi, et nous sommes aujourd’hui samedi. Aujourd’hui, avant de venir ici, je suis entré en contact avec les frères, et je leur ai dit qu’hier, selon leur rapport, les foreuses étaient toujours actives à la frontière. Qu’en est-il aujourd’hui, (leur ai-je demandé) ? Ils m’ont répondu qu’aujourd’hui ils sont au repos, parce qu’on est samedi. Je ne pensais pas qu’ils seraient en week-end samedi, je me disais que des militaires travailleraient (même) le samedi.

Vous voyez, Eizenkot a annoncé la fin d’une Opération qui n’est pas encore finie, et ce seulement pour pouvoir la compter comme l’un de ses accomplissements. Nous avons donc pris la décision de rester silencieux jusqu’à la fin de l’Opération. Voilà.

De même, dans ce contexte, il y a quelques semaines, ont commencé à circuler les propos concernant mon état de santé, mon décès, ma mort, (les soins d’urgence prodigués à) Shiraz, (à) l’hôpital de Damas, les médecins iraniens…

Ghassan Ben Jeddou : … l’état d’alerte de la direction du Hezbollah…

Hassan Nasrallah : Et pour vous dire la vérité, nous nous sommes également consultés avec les frères, et il nous est apparu que l’ennemi voulait me forcer la main pour que j’apparaisse dans les médias, pour que je m’exprime selon le timing qui lui convient. Mais je ne veux pas parler selon leur timing. Nous choisissons notre propre timing.

Deuxièmement, nous ne voulons pas établir un principe selon lequel chaque fois qu’un site internet sans aucune valeur, qu’un auteur ridicule, que des informations ou analyses disent que je suis malade ou décédé, je me dois d’apparaître à la télévision pour dire à tout le monde que je vais bien et que je suis en bonne santé, car alors je devrais apparaître chaque jour à la télévision.

C’est pourquoi je dis à tous ceux qui m’aiment, et également à l’ennemi : nous ne sommes aucunement tenus de faire cela. Est-ce que nous démentons (les ragots) ou pas ? Nous n’avons pas de principe établi, et nous en décidons à notre guise (en fonction des circonstances). Cette fois-ci, nous avons décidé de nous taire, afin de ne pas nous engager (pour les prochaines fois). Car la dernière fois, nous avons démenti (ces rumeurs). Si nous l’avions encore fait cette fois-ci, nous aurions (en quelque sorte) établi un principe selon lequel chaque fois qu’une information, qu’un site internet (quelconque), qu’un journal ou qu’un média affirme qu’untel (Nasrallah) est malade et que nous ne démentons pas, c’est qu’il est vraiment malade. Nous ne voulons pas nous engager sur cette voie.

Il y a également une autre raison (à mon silence), c’est qu’en 2018, je m’étais mis d’accord avec vous pour que notre entretien annuel ait lieu en janvier, le premier mois (de l’année). Je me suis également dit que si je devais m’exprimer une ou deux fois (avant cette rencontre programmée de longue date), notre entretien risquerait d’être parfois répétitif et ennuyeux pour les spectateurs, et je ne veux pas ennuyer les gens. Voilà toute l’histoire, avec la grâce de Dieu.

Ghassan Ben Jeddou : Merci beaucoup en tout cas (pour cette attention).

Hassan Nasrallah : Quoi qu’il en soit, le mois de février arrive, et nous avons trois occasions durant lesquelles je dois discourir. Que Dieu le Très-Haut et l’Exalté nous préserve tous.

Ghassan Ben Jeddou : Qu’Il vous accorde santé et longue vie. Mais j’ai tout de même une remarque, Eminent Sayed (descendant du Prophète). Dans tout ce que vous venez de dire, c’est comme si vous vous adressiez à l’ennemi, l’ennemi israélien. Mais n’aviez-vous pas la possibilité de rassurer votre base, vos masses populaires ? En fin de compte, eux aussi étaient inquiets. Les alliés, les amis et ceux qui vous aiment étaient inquiets.

Hassan Nasrallah : Non, ils ont été rassurés d’une manière ou d’une autre (publication d’une photo le 1er janvier). Il y a eu des contacts et des questions qui nous sont parvenus en interne, mais certains signes de la part de quelques amis étaient suffisants pour rassurer. L’important est que même notre base populaire commence à comprendre les choses, et elle doit se fortifier (face à la guerre psychologique de l’ennemi) afin qu’il ne puisse pas nous atteindre et nous manipuler à ce sujet. […]

Extraits suivants sur l’Opération Bouclier du Nord et la situation en Syrie à suivre. 
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