Par Gideon Levy

Source : Haaretz, le 28 novembre 2019

Traduction : lecridespeuples.fr

Corbyn n’est pas un antisémite. Son vrai péché est de lutter contre les injustices dans le monde, y compris celles perpétrées par Israël.

Les élites juives en Grande-Bretagne et la machine de propagande israélienne ont mis à prix la tête du dirigeant du Parti travailliste britannique, Jeremy Corbyn, et lancé tous leurs chasseurs de prime à ses trousses. Cet avis de recherche, mort ou vif, a été publié il y a longtemps, et il était clair que plus Corbyn se rapprocherait du poste de Premier ministre, plus la traque se durcirait.

Mardi 26 novembre, elle a atteint son apogée dans un article du grand rabbin d’Angleterre, Ephraim Mirvis, dans un article du Times. Mirvis a décrété que l’inquiétude des Juifs britanniques à l’égard de Corbyn était justifiée et qu’il n’était pas digne d’être Premier ministre. Il a appelé les Juifs à ne pas voter pour le Parti travailliste lors de l’élection du 12 décembre.

Né en Afrique du Sud et diplômé de la Yeshiva Har Etzion située dans la colonie de Alon Shvut, Mirvis est la voix du judaïsme britannique. À Capetown, Johannesburg, et à Har Etzion, en Palestine occupée, il aurait dû apprendre ce qu’est l’Apartheid et pourquoi il faut le combattre. Ses parents ont retenu la leçon, mais on peut douter qu’il ait tiré le moindre enseignement d’ordre moral dans les zones de négation des droits (des Noirs ou des Palestiniens) où il a vécu en Afrique du Sud et en Cisjordanie.

Ephraim Mirvis
Ephraim Mirvis

Contrairement à l’horrible Corbyn, Mirvis ne voit aucun inconvénient à la poursuite de l’occupation ; il ne s’identifie pas à la lutte pour la liberté des Palestiniens, et il ne ressent pas la similitude entre l’Afrique du Sud de son enfance, Har Etzion de sa jeunesse et Israël en 2019. C’est la véritable raison pour laquelle il rejette Corbyn. Les Juifs de Grande-Bretagne veulent également un Premier ministre qui soutienne Israël, c’est-à-dire qui soutienne l’occupation. Un Premier ministre critique d’Israël est pour eux un exemple du « nouvel antisémitisme ».

Corbyn n’est pas un antisémite. Il ne l’a jamais été. Son véritable péché réside dans sa position ferme contre l’injustice dans le monde, y compris la version perpétrée par Israël. Aujourd’hui, c’est considéré comme de l’antisémitisme. Le Hongrois Viktor Orban, le Parti de la liberté autrichien et l’extrême droite en Europe ne constituent pas un danger pour les Juifs. A leurs yeux, c’est Corbyn qui est l’ennemi. La nouvelle stratégie d’Israël et de l’establishment sioniste, particulièrement efficace, consiste à qualifier d’antisémite quiconque revendique davantage de justice, et à accuser de haine contre les Juifs quiconque critique Israël. Corbyn est victime de cette stratégie qui menace de paralyser et de faire taire toute l’Europe vis-à-vis d’Israël.

Les Juifs britanniques ne feignent peut-être pas leur inquiétude, mais ils amplifient certainement le danger. Il existe certes de l’antisémitisme, mais bien moins que ce qui est présenté, même à gauche. Environ la moitié des Juifs britanniques envisageraient de fuir si Corbyn est élu. Qu’ils fuient donc. L’enquête qui a montré cela pourrait réellement encourager l’antisémitisme : les Juifs de Grande-Bretagne sont-ils conditionnellement britanniques ? Vers qui va leur loyauté ?

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Notre source nous informe que Corbyn faisait partie de l’IRA, de la CIA, du KGB, du MI5 et du (groupe pop suédois) ABBA dans les années 1970.

L’avenir de tous les Juifs britanniques est beaucoup plus sûr que celui de tout Palestinien vivant sous l’occupation, et encore plus sûr que celui de tout Arabe vivant en Israël. Les Juifs sont infiniment moins persécutés et victimes de discrimination et de racisme que les Palestiniens de l’Etat d’Israël qui leur est si cher. De plus, l’islamophobie en Europe est bien plus courante que l’antisémitisme, mais les gens en parlent moins.

Mirvis ne présente aucune preuve de l’antisémitisme de Corbyn. Il s’est contenté de noter le fait que Corbyn avait décrit comme « amis » ceux qui « soutenaient le meurtre de Juifs » – une référence aux commentaires de Corbyn sur le Hezbollah et le Hamas. Corbyn est en effet un critique très sévère de l’occupation, il soutient le boycott d’Israël et compare le blocus de Gaza au siège de Stalingrad et de Leningrad. Ce sont des positions anti-israéliennes, mais pas nécessairement antisémites. Les Juifs de Grande-Bretagne brouillent cette différence, de même que de nombreux Juifs à travers le monde, et ce de manière intentionnelle. On peut (et devrait) être un critique sévère d’Israël sans être antisémite.

Si les Juifs d’Angleterre et leur Grand rabbin étaient plus honnêtes et plus courageux, ils se demanderaient : la politique d’occupation brutale d’Israël n’est-elle pas le motif le plus puissant de l’antisémitisme aujourd’hui ? Il y a de l’antisémitisme, il faut le combattre, mais il faut aussi reconnaître qu’Israël lui fournit une abondance d’excuses et de motivations, de même que ceux qui amalgament la critique d’Israël à celle des Juifs, et qui, de fait, donnent des arguments de poids aux antisémites.

Les Juifs et les vrais amis d’Israël devraient espérer que Corbyn soit élu. C’est un homme d’État capable de changer le discours international sur l’occupation et sur la lutte contre celle-ci. Il est une lueur d’espoir pour un monde et un Israël différents – et que demander de plus ?

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