Source : Moon of Alabama, 14 octobre 2019

Traduction : lecridespeuples.fr

Il y a huit jours, le Président américain Donald Trump a donné le feu vert à une nouvelle invasion de la Syrie par la Turquie. Cette décision obligeait les Kurdes à se soumettre à Damas et à laisser l’Armée Arabe Syrienne revenir dans le Nord-Est de la Syrie.

Les Unités Kurdes de protection du peuple (YPG) auraient certainement voulu lutter contre une invasion turque, mais ils avaient peu de chances de réussir. Le terrain est plat et les forces des YPG ne disposaient que d’armes légères.

Il n’y avait qu’une solution pour eux : faire appel au gouvernement syrien et lui demander de revenir dans le Nord-Est. Cela dissiperait les inquiétudes turques et empêcherait probablement d’autres initiatives d’Erdogan en territoire syrien.

Après que Trump ait discuté avec le Président turc, l’armée américaine a retiré quelques-unes de ses forces de certaines zones proches de la frontière turque. Le Pentagone avait toujours la fausse impression que la Turquie limiterait son invasion à quelque 5 kilomètres de profondeur. Mais il était évident que la Turquie voulait beaucoup plus.

Un objectif majeur pour Ankara était de barrer l’autoroute M4, parallèle à la frontière, qui permet le déplacement de troupes entre l’Est et l’Ouest des zones à majorité kurde. L’autoroute est à environ 20-30 kilomètres de la frontière.

L’autoroute M4 est également l’un des principaux axes logistiques pour les troupes américaines stationnées dans la partie occidentale de la Syrie.

Les Kurdes ne peuvent rien faire pour résister à l’attaque turque. Samedi, les « rebelles syriens » sponsorisés par la Turquie ont atteint l’autoroute M4 et ont capturé et tué plusieurs soldats et civils Kurdes qui passaient à proximité. D’après le Washington Post, le Pentagone a finalement pris conscience du danger imminent :

 « C’est un chaos total », a déclaré un haut responsable de l’administration américaine, qui a requis l’anonymat, au sujet de la situation confuse en Syrie.

Bien que « les Turcs nous [aient] donné des garanties » que les forces américaines ne seraient pas touchées, a déclaré le responsable, les milices syriennes qui leur sont alliées « sillonnent les routes, tendent des embuscades et attaquent des véhicules », mettant ainsi en danger les forces américaines et les civils alors même qu’ils se retirent. Les milices, connues sous le nom d’Armée syrienne libre, « sont fanatiques et peu fiables. »

Ah bon  ?… « L’Armée syrienne libre », que les États-Unis ont construite – avec l’aide de la Grande-Bretagne et de la France – et dotée d’une immense quantité d’armes pour lutter contre le gouvernement syrien, est « fanatique et peu fiable » ?! Comment se fait-il que tous les groupes de réflexion et les « journalistes » qui pendant des années ont chanté les louanges de cette « Armée » ne l’aient jamais remarqué ?

Le Pentagone a finalement reconnu qu’il n’était pas possible de conserver la zone sans déclencher une guerre avec son partenaire de l’OTAN, la Turquie. Samedi soir, Trump a ordonné à toutes les troupes américaines de quitter le Nord-Est de la Syrie dans les 30 jours. Le Secrétaire à la Défense n’a pas démissionné, contrairement à son prédécesseur, mais a défendu le projet.

La décision a constitué le coup de pied au derrière dont les Kurdes avaient besoin pour enfin accepter le retour des troupes du gouvernement syrien dans la région qu’ils contrôlaient sous commandement américain. Actuellement, les troupes syriennes et leurs armes lourdes affluent dans la zone. Leur tâche principale est d’empêcher tout empiétement supplémentaire de la part des forces turques. Ils vont également reprendre les champs de pétrole à l’Est de Deir Ezzor et prendre le contrôle des camps de prisonniers où sont détenus les combattants de Daech.

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Au moment de la rédaction de cet article, des troupes syriennes (en rouge) sont entrées dans Manbij, Ain al Issa, la base aérienne de Tabqa près de Raqqa et Tel Tamr. Les groupes soutenus par la Turquie (en vert) tiennent Tell Abyad et Ras al-Ayn ainsi que les villages situés entre ces deux villes. Cette région a une population majoritairement arabe.

Les Kurdes souhaitent conserver leur « administration autonome » du Nord-Est de la Syrie. Bien que les discussions se poursuivent, il est peu probable que les habitants majoritairement arabes de la région ou le gouvernement syrien acceptent une telle chose. Il ne saurait y avoir de statut particulier pour aucun des nombreux groupes ethniques ou religieux de la Syrie.

Les Forces démocratiques syriennes (FDS) Kurdes seront dissoutes. Ses soldats seront intégrés à l’armée syrienne. Le gouvernement syrien dissoudra également l’administration kurde « autonome ». Il confisquera les armes que les États-Unis ont données aux Kurdes. Tout cela prendra du temps, mais finira par dissiper les craintes turques selon lesquelles des groupes kurdes syriens organisés pourraient entrer en Turquie pour se battre aux côtés de leurs frères séparatistes du PKK.

Les États-Unis comptaient plus de 1 000 soldats dans le Nord-Est de la Syrie. Il y avait aussi plusieurs centaines de forces spéciales françaises et britanniques et environ 2 000 mercenaires américains. Ils sont en train de quitter les lieux, emportant avec eux une énorme quantité d’équipement. Ils n’ont sûrement rien à craindre des forces syriennes, Damas étant heureux de les voir partir. (Les rapports selon lesquels des troupes syriennes ont été bombardées par l’armée américaine hier sont faux.)

Le plan stratégique derrière les développements de la semaine dernière a dû être concocté à Moscou. La Russie tente depuis longtemps de faire entrer la Turquie dans son camp. La Russie, l’Iran et la Syrie ont probablement « autorisé » la Turquie à mener une invasion limitée de la Syrie pour faire fuir les États-Unis. La Russie a largement soutenu l’offensive turque, mais elle lui fixera également ses limites.

Depuis l’année dernière, Trump cherche une occasion de retirer les troupes américaines de Syrie. L’Etat profond a rendu cela politiquement irréalisable. L’initiative turque (voire russe) lui a fourni l’excuse dont il avait besoin.

Il est possible que tout cet arrangement ait été conclu exactement dans ce but.

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