Un accord entre la Chine et l’Iran envisage un avenir dissocié des États-Unis

Le pacte de coopération mettra fermement l’Iran sur la Nouvelle route de la soie (initiative OBOR —One Belt, One Road) de la Chine et promet de changer le calcul stratégique de la région

Par Kaveh Afrasaiabi

Source : Asia Times, le 10 juillet 2020

Traduction : lecridespeuples.fr

Au cours des dernières semaines, l’Iran et la Chine ont mis au point les détails d’un accord de coopération potentiellement capital censé s’étendre sur le prochain quart de siècle et tracer un avenir découplé des États-Unis.

Selon les termes d’un projet examiné par Asia Times, la Chine investira des dizaines de milliards de dollars américains en Iran dans le cadre de l’ambitieuse initiative OBOR de Pékin. L’accord de 25 ans comprend des dimensions économiques, sécuritaires et militaires.

Un tel accord est particulièrement important pour le secteur énergétique iranien en difficulté, qui a un besoin urgent d’investissements substantiels pour remettre en état une industrie pétrolière vieillissante, nécessitant plus de 150 milliards de dollars pour la modernisation indispensable des puits, des raffineries et d’autres infrastructures.

Les négociations se poursuivent, alors même que l’administration Trump continue de miser sur l’étranglement économique de l’Iran par une stratégie unilatérale de pression maximale, dans le contexte d’une rivalité américano-chinoise croissante.

S’il est approuvé par le Parlement iranien, le plan représentera un affront majeur à l’effort acharné de l’administration Trump visant à l’isolement économique de l’Iran dans la communauté internationale. Sans surprise, la nouvelle de l’accord Chine-Iran a déclenché un chœur de condamnations en Occident.

Certains « opposants » iraniens en exil [les terroristes du MEK ?] ont qualifié le plan de « liquidation » de la République Islamique, qui se mettrait à la merci de la Chine, et le considèrent comme un témoignage de la capacité de la Chine à transformer l’Iran en l’un de ses « satellites ». Ces critiques ont faussement prétendu que le plan contenait une « clause de monopole », le point le plus controversé étant la prétendue cession à la Chine du contrôle d’une des îles du golfe Persique iranien (voire la présence de troupes militaires chinoises).

Les versions présumées de l’accord qui ont été divulguées en persan et en anglais visaient clairement à le saper. Elles prétendent qu’il inclut des dispositions qui pourraient être perçues comme nuisibles à l’Iran et en faveur de la Chine.

Vue aérienne du port iranien de Chabahar.

Si la Chine entreprenait un investissement aussi massif à long terme en Iran, il est très probable que Pékin développe le port stratégique iranien de Chahbahar, le débouché du pays vers l’océan Indien.

 

Le port bénéficie d’une dérogation aux sanctions américaines imposées à l’Iran, accord qui a été accordé en signe d’assentiment aux ambitions de l’Inde sur le port. Aux yeux de Téhéran, New Delhi a gâché cette opportunité en se rangeant effectivement du côté des États-Unis sur les sanctions pétrolières et en ne faisant pas les investissements attendus dans le port.

Le nouvel accord Iran-Chine indique l’évolution des calculs stratégiques des deux pays dans le milieu international actuel, dans lequel les normes et principes internationaux ont été érodés en grande partie par les politiques unilatérales et agressives de l’administration Trump vis-à-vis de Téhéran et de Pékin.

Lentement mais sûrement, un triumvirat composé de la Chine, de l’Iran et du Pakistan voisin se forme. Cette alliance pourrait également englober l’Afghanistan et, avec le temps, devrait ajouter l’Irak et la Syrie [voire le Liban], un anathème stratégique aux yeux de Washington (et de ses vassaux occidentaux) et de New Delhi.

Un nouvel accord complémentaire entre l’Iran et la Syrie, salué par le Président Bachar al-Assad, indique clairement l’intention de l’Iran de maintenir son ancrage stratégique dans ce pays ravagé par la guerre, à la fois comme porte d’entrée vers le Liban et le monde arabe et en guise de dissuasion face à Israël. Cela s’est produit indépendamment des pressions israélo-arabes du Golfe, y compris des attaques récentes à l’intérieur de l’Iran.

https://www.dailymotion.com/video/x7u0p3y

Répondant à une « pression maximale » par une « Résistance maximale », l’Iran exerce traditionnellement une contre-pression face à toute pression régionale et ou internationale.

Téhéran se considère comme une puissance pivot en Asie occidentale et au Moyen-Orient, et on peut s’attendre à ce qu’elle riposte contre les coupables des récentes attaques contre l’installation nucléaire de Natanz et le complexe militaire de Parchin au moment et à l’endroit de son choix.

L’installation nucléaire de Nantanz après un incendie apparent encore inexpliqué.

Un accord final entre la Chine et l’Iran serait gagnant-gagnant, servant les intérêts nationaux des deux parties.

En ce qui concerne l’Iran, frappé par la pandémie et par des sanctions sans précédent, un tel accord offrira une marge de manœuvre importante pour tenir économiquement à un moment difficile, alors que des sites militaires et nucléaires de l’Iran sont ciblés, probablement par un effort concerté impliquant Washington, Israël et certains États arabes du Golfe.

Selon un politologue basé à Téhéran qui souhaite rester anonyme, « le but de ces attaques contre l’Iran pourrait être lié à la perception que l’administration Trump est disposée à conclure un accord avec l’Iran au cours des prochains mois avant les élections de novembre. »

Cela soulève des questions sur la véritable stratégie de Trump pour l’Iran, malgré le récent revers majeur pour les États-Unis au Conseil de sécurité de l’ONU, qui a catégoriquement rejeté un projet de résolution américaine appelant à un embargo illimité sur la vente d’armes à l’Iran.

En outre, un expert des Nations Unies a dénoncé le meurtre par drone américain en janvier du haut Général iranien Qassem Soleimani et de neuf autres responsables iraniens et irakiens comme « illégal et arbitraires en vertu du droit international ».

Voir Assassinat de Soleimani : le mandat d’arrêt de l’Iran contre Trump, symbole de la déchéance des Etats-Unis

Selon le rapport de l’ONU, l’attaque par drone a violé la souveraineté de l’Irak et a à son tour « institutionnalisé » l’hostilité iranienne envers les États-Unis, ce qui rend presque impossible pour un officiel iranien de s’engager dans une diplomatie directe avec l’administration Trump. C’est particulièrement vrai depuis que le nouveau parlement iranien dirigé par des partisans d’une ligne dure face à Washington a commencé à agir.

Le gouvernement « modéré » du Président Hassan Rouhani est sur le point d’entrer dans une période difficile avant les élections présidentielles de 2021, ce qui le rend de moins en moins capable de prendre d’importantes initiatives de politique étrangère.

Certains analystes en Iran soutiennent qu’il existe encore une fenêtre d’opportunité étroite pour un nouvel accord Téhéran-Washington, motivé en partie par la réaction à l’accord Téhéran-Pékin susmentionné [perspective doublement absurde : l’Iran ne perdra pas son temps à négocier avec Trump, et a maintes fois répété que le dialogue avec Washington ne pourrait reprendre qu’après annulation de toutes les sanctions et une indemnisation compensant les pertes induites par le retrait de l’accord nucléaire ; tout cela ne peut pas se faire en quelques mois].

Compte tenu de la position post-révolutionnaire de l’Iran sur l’équidistance des superpuissances, l’accord avec la Chine reflète une approche de « nouveau regard vers l’Est » de Téhéran, sous la pression de Washington. En même temps, il sert la logique opposée d’un « nouveau regard vers l’Ouest » pour naviguer dans les courants perfides d’une nouvelle guerre froide en faveur de l’équilibre.

Cela suppose, bien sûr, que Washington soit disposé à alléger ses sanctions et menaces persistantes. Cela reste à voir. En attendant, la récente vague d’incendies suspects et de sabotage contre les installations nucléaires de Natanz et le complexe militaire de Parchin enhardira les tenants de la ligne dure en Iran, qui ne voient aucun motif d’optimisme quant à un éventuel changement de politique américaine.

Ils voient la défense ferme de l’Iran par la Chine au Conseil de sécurité de l’ONU comme un témoignage de la fiabilité de Pékin. Ils sont également conscients de la capacité de leur pays à servir le projet OBOR de la Chine, non seulement pour le marché iranien de 80 millions d’habitants, mais pour la plus grande masse terrestre eurasienne englobant quelque 4,6 milliards de personnes.

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Les grandes lignes de l’accord stratégique sino-iranien

Par Pepe Escobar

Source : Asia Times, le 10 juillet 2020

Traduction : lecridespeuples.fr

[…] Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Abbas Mousavi, a dénoncé comme des « mensonges » une série de rumeurs sur la « feuille de route transparente » intégrée dans l’évolution du partenariat stratégique Iran-Chine.

Cette déclaration a été complétée par le chef d’état-major du Président Rouhani, Mahmoud Vezi, qui a déclaré qu’une ligne de propagande destructrice a été lancée et dirigée depuis l’extérieur de l’Iran contre l’expansion des relations de l’Iran avec ses voisins et en particulier (avec) la Chine et la Russie. […]

Le cœur du partenariat stratégique Iran-Chine, qui n’est plus un secret depuis au moins l’année dernière, tourne autour d’un investissement chinois de 400 milliards de dollars dans l’énergie et l’infrastructure iraniennes pour les 25 prochaines années. Il s’agit de sécuriser une question d’intérêt national suprême : un approvisionnement régulier en pétrole et en gaz, contournant le goulot d’étranglement dangereux du détroit de Malacca, sécurisé avec une remise moyenne de 18% et payé en yuans ou en un panier de devises contournant le dollar américain.

Pékin investira également environ 228 milliards de dollars dans les infrastructures iraniennes —c’est là qu’intervient l’AIIB (Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures)— sur 25 ans, mais surtout jusqu’en 2025. Cela va de la construction d’usines à la rénovation de l’industrie de l’énergie qui en a tant besoin, jusqu’à la construction déjà en cours d’un chemin de fer moderne de 900 kilomètres de Téhéran à Mashhad.

Téhéran, Qom et Ispahan seront également reliées par train à grande vitesse, et il y aura une extension à Tabriz, un important nœud pétrolier, gazier et pétrochimique qui est le point de départ du gazoduc Tabriz-Ankara.

Tout cela fait parfaitement sens en termes de Nouvelle Route de la Soie, car l’Iran est un carrefour eurasien clé. Un train à grande vitesse traversant l’Iran reliera Urumqi dans le Xinjiang à Téhéran, via quatre des « stans » d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan et Turkménistan) jusqu’en Asie occidentale, en Irak et en Turquie, et plus loin en Europe : un renouveau technologique des anciennes routes de la soie, où la langue principale du commerce entre l’Est et l’Ouest à travers le cœur était le persan.

Les termes de la coopération militaire aérienne et navale entre l’Iran et la Chine et aussi la Russie ne sont toujours pas finalisés, comme me l’ont dit des sources iraniennes. Et personne n’a eu accès aux détails. Ce que Mousavi a dit, dans un tweet, était qu’ « il n’y a rien (dans l’accord) concernant la remise d’îles iraniennes à la Chine, rien sur la présence de forces militaires chinoises en Iran, ou sur tous les autres mensonges (répandus par les pro-occidentaux). » […]

Le partenariat stratégique Iran-Chine est encore une autre démonstration graphique de ce qui pourrait être déconstruit comme la forme chinoise de l’exceptionnalisme : une mentalité collective et une planification suffisamment organisée capables d’établir un partenariat économique, politique et militaire de grande envergure, sur une base gagnant-gagnant.

Il est assez instructif de replacer l’ensemble du processus dans le contexte de ce que le conseiller d’État et ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi a souligné lors d’une récente réunion de Think Tanks sino-américains, à laquelle assistait, entre autres, Henry Kissinger :

Un point de vue particulier a flotté ces dernières années, alléguant que le succès de la voie chinoise sera un coup dur et une menace pour le système et la voie de l’Occident. Cette affirmation est incompatible avec les faits et nous ne sommes pas d’accord avec elle. L’agression et l’expansion n’ont jamais été dans les gènes de la nation chinoise tout au long de ses 5000 ans d’histoire. La Chine ne reproduit aucun modèle d’autres pays et n’exporte pas le sien vers d’autres. Nous ne demandons jamais à d’autres pays de copier ce que nous faisons. Il y a plus de 2500 ans, nos ancêtres ont défendu que « tous les êtres vivants peuvent grandir en harmonie sans se faire de mal, et différents modes de vie peuvent exister en parallèle sans interférer les uns avec les autres ».

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